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Ce soir-là, il demanda à sa nurse de dormir avec lui dans son lit, ce qu’elle accepta avec reconnaissance.

Sir David appréciait sa présence, pourtant il ne lui proposait pas souvent sa couche car, entre les draps, il était plus qu’ailleurs accablé par sa petitesse. Quand il passait son court bras sur l’épaule de Victoria et que ses pieds atteignaient les genoux de la jeune fille, il réalisait l’aspect dramatique de sa condition.

Fort heureusement, son membre colossal lui procurait quelque réconfort. Il aimait qu’elle le prenne dans ses mains et le pétrisse doucement, il subsistait toujours en elle un côté effarouché, et cette timidité naturelle perdurerait tant qu’ils vivraient ensemble.

Il n’adopta pas la posture animale habituelle, mais se mit sur le flanc. Elle dégageait une odeur délicate, toutefois très insistante, et il en était grisé.

— Êtes-vous bien ? chuchota David.

— Merveilleusement !

Il en conçut une sensation de chaleur.

Il fut comblé de pouvoir dispenser une forme de félicité. Le nain, depuis sa prime jeunesse se trouvait prisonnier de son infirmité. Aucun autre enfant, jamais, n’avait partagé ses jeux. Plus tard, il ignora tout de la camaraderie et donc, a fortiori, de l’amitié. Muré dans son nanisme, il ne communiquait avec personne, sinon la vieille Macheprow, la gouvernante à qui son père l’avait en partie confié. La dame en question possédait un tempérament aigre qui la poussait aux sarcasmes. Visiblement, elle ne tolérait pas cet enfant mal venu dont l’anormalité incommodait tous ceux qui l’approchaient.

L’enfance de sir David fut marquée par différentes tentatives de suicide, et certains éléments de son entourage regrettèrent plus ou moins ouvertement qu’elles n’eussent point abouti.

Sa longue période de non-croissance révolue, son tempérament suicidaire laissa place à une froide cruauté qui dès lors lui tint lieu de support. Le jour où il étrangla le gros chat angora de Mrs. Macheprow en le suspendant par le cou à la cordelière d’un rideau de chintz (qu’on dut changer, l’animal l’ayant lacéré en cours d’agonie), la vieillarde jura à sir David qu’il irait en enfer.

— Je l’espère bien, repartit ce dernier. Ma seule crainte est de vous y rencontrer.

Il devait réserver à la digne femme bien d’autres tracasseries dont la liste serait fastidieuse ; l’une des pires étant d’avoir souscrit à son nom un abonnement à des revues pornographiques.


Blotti contre sa nurse, il en savourait la tiédeur. Elle ne bougeait pas ; le sexe du nain devenait énorme contre son ventre. Ces prémices la rendaient folle d’excitation.

— Aimeriez-vous que je tue votre père ? questionna-t-il.

L’extravagance de la chose sidéra Victoria, sans vraiment l’épouvanter.

— Pourquoi me demandez-vous cela, sir ?

— J’ai cru comprendre que vous le détestiez ?

Il coula sa main potelée entre les cuisses de sa compagne de lit, se mit à la caresser savamment, sachant combien elle appréciait cette simple pratique. En effet, elle se cambra instantanément et sa respiration s’accéléra.

— Vous n’avez pas répondu ? insista-t-il.

Elle louvoyait entre son désir, qu’il débridait, et la stupeur consécutive à sa question. Enfin, elle fit un effort.

— Ce serait dangereux ! dit-elle. Supprimer des individus dont vous ne savez rien, que vous n’avez jamais vus auparavant, préserve votre sécurité, à condition évidemment de ne pas être pris en flagrant délit. Mais la mort violente de Hunt amènerait la police à vérifier l’emploi du temps de ses proches, donc le mien, ainsi que celui des gens qui m’environnent.

— Vous auriez un alibi, trancha sir David. Et je vois mal Scotland Yard orienter ses éventuels soupçons sur un membre de cette famille !

Elle se serra contre lui, s’empara de sa main qu’il avait retirée d’entre ses cuisses et l’y replaça.

— Pourquoi m’avez-vous proposé de tuer mon père ? interrogea la nurse.

— Je pensais que ça vous serait agréable, répondit sir David.

* * *

Ils firent l’amour.

Victoria avec frénésie, David distraitement.

Elle s’endormit aussitôt après, en chien de fusil, le menton sur son poing fermé. Lui, laissa briller la veilleuse comme il le faisait la plupart du temps car il avait un sommeil tourmenté de tsar.

Ses mains croisées au plus juste sur sa poitrine développée par les exercices de musculation, il se remémorait les paroles de son géniteur relatives à son inactivité. Habituellement, les rabâchages du vieil homme le laissaient de marbre. Pourquoi, ce soir, les recevait-il avec autant de violence ? Ils le meurtrissaient parce qu’il en réalisait la justesse.

Effectivement, un désarroi endémique stagnait en lui, le mettait en porte-à-faux avec les autres. Hormis sa position de fils de lord, rien n’apportait une quelconque assise à sa vie. Son père se consacrait à l’écriture chaotique de ses mémoires, sa mère vivait pour sa peinture, son frère pour ses affaires ; mais lui ? Lui, l’infirme malfaisant, l’inoccupé aux farces monstrueuses, sur quels fondements reposait son existence ? Il enchaînait un jour à celui qui le précédait, sans rien attendre. Il trichait, il traquait, et s’efforçait de connaître, grâce au crime, des sensations fortes susceptibles de l’arracher à la torpeur de son triste destin.

A un moment donné, Victoria respira un peu plus fort et il la regarda. Il fut frappé par sa beauté. Elle détenait un charme particulier, dont il était parfaitement conscient. Peut-être parviendrait-il à l’aimer un jour ? A coup sûr, elle représentait son unique « chance ». Jamais une autre femme ne pourrait le chérir de cette manière fanatique, calquer à un tel point sa vie sur la sienne. Il possédait suffisamment d’autocritique pour comprendre qu’avec Victoria, il tenait le seul être capable de lui vouer une véritable passion.

Une grisante exaltation lui insufflait, pour la première fois, un réel bonheur de vivre.

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