On l’inhuma dans le caveau des Bentham à Green Castle, le berceau de la famille, un village qui avait été délicieux jadis mais que l’implantation d’une usine de pièces détachées pour camions défigurait. Le duc s’était battu comme un lion pour préserver sa contrée d’une lèpre aussi honteuse, mais à l’époque, les travaillistes tenaient le haut du pavé et l’ennemi le plus virulent de lord Jeremy, un certain Dick Malstone, était parvenu à lui faire ce cadeau empoisonné. Depuis, lord Bentham n’apparaissait pratiquement plus dans cette région souillée, sauf en des occasions exceptionnelles, et il n’avait pas jugé que l’inhumation de sa belle-fille en fût une.
Ces funérailles à la sauvette, réglées par lady Muguette, (les parents de la morte ne purent être joints car ils chassaient dans un coin perdu de l’Afrique où l’on permet encore de participer à l’extinction de quelques espèces animales) eurent lieu dans la plus morne intimité. Hormis les notables de la région et le personnel du château, il n’y eut que de rares familiers. l’hiver piquait une recrudescence et les fossoyeurs avaient eu un mal de chien à rendre le caveau accessible.
Discrètement, les assistants battaient la semelle, les mains dans les poches de leur manteau.
Le veuf conduisait le deuil, entre sa mère et son frère.
Il portait une confortable pelisse à col et doublure de vison sauvage. Son visage demeurait calme et vigilant. Lady Muguette avait hésité à emmener Robespierre aux obsèques ; tout compte fait, elle avait préféré le laisser à Londres, d’autant que, ce jour-là, on donnait Benny Hill à la télévision, émission que le futur marquis ne ratait sous aucun prétexte.
Le prêtre qui officiait libérait de gros nuages de vapeur en procédant à l’ultime phase de la cérémonie.
Enfin ce fut terminé et les personnes présentes, soulagées, se ruèrent vers la chaleur, du temps qu’elles vivaient encore.
Tom attendait David au volant de la Rolls. Ils repartirent immédiatement pour Londres, la duchesse devant rentrer plus tard, dans la Daimler de son fils aîné.
Le nain s’assit sur le siège avant afin de pouvoir s’entretenir de sa prothèse en gestation. Son serviteur avait avancé ses plans durant les quelques jours d’absence de son maître ; il transcrivait son projet d’un crayon maîtrisé, allant jusqu’à travailler les moindres détails de la partie articulée sur plusieurs calques pour en expliciter le mécanisme.
— Pénible cérémonie, n’est-ce pas ? demanda le chauffeur.
— Lady Mary manquait de chance, assura David : un époux indifférent, un fils pratiquement demeuré, une santé vacillante, son enterrement est dans la logique des choses.
Après cette brève oraison funèbre, ils se mirent à discuter de son appareillage et ne changèrent plus de sujet jusqu’à leur arrivée à Charles Street.
La cheville de Victoria la faisait moins souffrir. La jeune femme, négligeant ses cannes, se déplaçait à cloche-pied dans la maison. Ayant sans doute pris froid au cimetière, son amant éternuait, elle insista pour lui confectionner un punch brûlant.
— Comment cela s’est-il passé ? questionna-t-elle.
— Ce fut aussi sinistre qu’elle, répondit sir David. J’ai rarement vu disparaître quelqu’un dans pareille indifférence.
Il rit, détendu :
— En tout cas voilà une bonne chose de faite ; elle a eu pour sa mise en terre un temps qui convenait à sa personnalité.
Il se mit à réfléchir, soufflant sur sa boisson trop chaude.
— Les autorités canariennes se sont montrées on ne peut plus coopératives, fit-il, allant même jusqu’à me présenter leurs condoléances… Quant à vous, mon amour, je n’oublierai jamais ce que je vous dois. J’ai hâte de vous donner mon nom et de vous faire des enfants qui, je l’espère, seront plus grands que leur père.
Ces paroles émurent la jeune femme, ce que voyant, le nain, dont la sensibilité rejoignait la sienne, s’assit sur ses genoux pour l’embrasser passionnément. Puis, sans transition, il passa de sa bouche à son sexe dont il aimait la délicate saveur. Les préludes furent longs. La nurse prit son plaisir à trois reprises dans un laps de temps assez réduit. Était-ce l’annonce de leur mariage imminent qui accroissait sa sexualité ? Les femmes, contrairement aux hommes, ont des orgasmes plus cérébraux que ceux de leurs compagnons. Quand il la pénétra de son fabuleux appendice, elle faillit perdre connaissance.
Ce qui portait au zénith l’amour de la jeune fille c’était l’intention déclarée de David d’avoir des enfants. Jamais jusque-là, le fils cadet de lord Bentham ne s’était risqué à une aussi grave promesse. Pendant qu’il la prenait, elle pensait, se sachant fécondable, qu’il perpétuait peut-être son illustre lignée. Que son ventre plébéien hébergeât le descendant de personnages légendaires, sans lesquels la Grande-Bretagne n’aurait été qu’une pâle copie de la principauté monégasque, la plongeait dans un abîme de voluptés physiques et spirituelles.
Après le dîner pris chez eux, Tom Lacase acheva de desservir et annonça à David qu’il voulait lui offrir quelque chose.
— De quoi s’agit-il ? s’enquit ce dernier.
— Si vous le permettez, sir, je tiens à vous en faire la surprise.
Son maître y ayant consenti, il s’éclipsa un moment et réapparut, portant une paire d’échasses. A leur vue, le visage du gnome s’empourpra. Son domestique se moquait-il de lui ?
Mais Lacase dissipa vite son irritation :
— Ces instruments vont vous permettre de travailler votre équilibre. Je les ai fait faire aux mesures de vos futures jambes. Juchez-vous dessus et vous saurez très exactement ce que seront vos sensations par la suite. Si vous vous exercez plusieurs heures par jour, vous pourrez intégrer vos « prolongateurs » avec aisance, d’où gain de temps.
— Vous êtes absolument génial, fit David.
Il se servait d’échasses pour la première fois. Dans sa jeunesse il enviait les gamins du village perchés sur ces pièces de bois ; mais son rang ne lui permettait pas de s’amuser à ces jeux de pauvres.
Lacase l’aida à se hisser sur les repose-pieds, qui se trouvaient plus hauts qu’il n’est d’usage. Ses premières tentatives furent lamentables. Sans l’assistance du domestique il se serait étalé sur le plancher. Le brave Tom l’exhortait avec calme, le conseillant sur la meilleure position à adopter. Le cadet des Bentham tendit sa volonté, s’efforçant d’être persévérant.
Au bout d’une heure d’application, il fut en mesure de parcourir trois ou quatre mètres sans faire d’embardées.
— Merveilleux ! s’écria le petit homme.
Il chercha sa compagne des yeux et la vit assise dans un coin du salon, son visage dans ses mains.
Elle pleurait.