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Quand la marquise tapota à la porte de leur cabine, David était en train de faire minette à sa nurse.

— Entrez ! cria-t-il, la bouche pleine, ce qui était absolument contraire aux bons usages qu’on lui avait enseignés.

Mary obéit et pénétra dans la partie salon.

— Venez ! venez, chère sœur ! lança le nain d’une voix dont nous savons pourquoi elle était étouffée.

La belle âme s’avança dans la chambre contiguë et fut surprise d’y trouver Victoria allongée au travers du lit, les jambes ouvertes, le visage convulsé annonçant une pâmoison imminente. Elle soutenait sa position de ses deux mains placées sous les jarrets.

Mary, devant pareil spectacle, faillit rebrousser chemin mais le démon de la quarantaine la harcela ; un tel spectacle « la cueillit à froid », si nous osons dire ; elle demeura immobile, pâlissante et le cœur déréglé.

Elle dut convenir que son beau-frère jouait du clitoris comme Yehudi Menuhin du Stradivarius. Ce n’était pas le petit lapeur de banlieue que l’on rencontre au-delà de Wimbledon ou des Docklands, mais un authentique professionnel de cette délicate discipline amoureuse.

Sa langue souple et pointue adoptait des configurations multiples, se creusant en tuile romaine, ou bien s’élargissant en spatule. D’une prestesse étourdissante, elle semblait être partout à la fois, folâtrant en des plis ombreux, dérapant brièvement vers des régions plus ténébreuses, revenant à l’assaut d’un Fuji-Yama miniature, le quittant pour laisser ses lèvres prendre le relais et s’attarder longuement en des aspirations continues jusqu’aux rives de l’asphyxie. Deux doigts de sa dextre se mêlaient alors au jeu libertin : réunis comme dans la bouche d’un cockney qui siffle, actifs à en donner le vertige. Et d’ailleurs n’étaient-ce point eux qui motivaient les plaintes de la nurse, annonciatrices d’un orgasme que le gnome différait savamment par des phases d’inertie brutales transformant le plaisir en sevrage féroce ? Au bout de ce temps mort, la langue reprenait le contrôle des opérations ; plus sage, enrichie de calmes résolutions ; allant l’amble avec l’élégance d’un cheval de concours.

Mary ne pouvait qu’admirer ce cunnilingus magistral auquel son époux, avec sa physionomie en coin de rue sinistrée ne l’avait jamais initiée.

Pour apprécier de plus près ce travail d’orfèvre, elle s’était agenouillée au côté du nabot. Une vague d’excitation amenant une bouffée de désir, la noble créature ne put empêcher sa main de voguer sur le pubis de sa nouvelle amie.

Je ne voudrais pas inciter mon lecteur à des érections intempestives, surtout s’il me lit dans un lieu public (auquel cas il lui resterait la ressource de croiser les jambes) mais il doit savoir que ces manœuvres conjuguées attisaient le plaisir de Victoria dans des proportions inconcevables.

Ces choses-là étant communicatives, Mary Bentham se prit à baisoter à langue de chat la plage blanche de son ventre où frissonnaient des poils follets.

Lors, sir David interrompit ce qu’il avait si bien commencé.

Il abandonna le triangle d’or roux en disant, non sans noblesse (et pour cause) :

— Tenez, marquise : finissez-la !

Ce qu’entreprit la bru de lord Jeremy Bentham avec une fougue voisine de la voracité.


L’affaire fut rondement menée car la frénésie d’un néophyte prévaut toujours sur la routine d’un technicien.

Miss Victoria atteignit des sommets (jusque-là inviolés) de la jouissance.

Le nain attendait son heure, paré pour d’ardentes manœuvres. Mais lorsqu’il entendit faire valoir ses droits au bonheur, Mary se déroba tout net.

— Non ! déclara-t-elle, péremptoire.

— Mais pourquoi ? gémit David.

— Pas maintenant, pas ici !

Et comme sa faramineuse érection le réduisait en hébétude, elle ajouta, tout en la flattant du bout de ses doigts, dont l’un se trouvait équipé d’un solitaire de huit carats :

— Il me faut un climat particulier, David. Rejoignez-moi après-demain à minuit dans ma cabine ; et venez-y seul car je ne saurais me donner à vous, du moins au début, pendant qu’un tiers regarderait. C’est une éducation nouvelle que vous allez entreprendre : soyez patient !

Elle se retira, les tempes en sueur et les joues en feu.

Le nain proposa alors sa superbe bandaison à la nurse qui en fit ses choux gras.


En fin d’après-midi, ils se retrouvèrent au bar du pont Soleil. L’air était frais en cette saison hivernale, aussi ne purent-ils s’installer à l’extérieur. Malgré l’absence de buveurs, ils prirent place dans un renfoncement, près du piano silencieux. Une étrange complicité les unissait. Curieusement, c’était Mary qui, des trois, se montrait le plus à son aise. Elle grignotait des pistaches grillées en savourant un dry Martini dans lequel s’ennuyait une grosse olive verte. A son côté, Victoria, harassée par leurs débordements amoureux, ressemblait à une pensionnaire d’internat à qui ses parents rendent visite. Elle se tenait tassée sur elle-même, les mains croisées entre ses jambes. Sir David paraissait rêveur. Il coulait des yeux admiratifs sur la marquise et la trouvait plus « classe » encore que d’habitude. Ayant passé une partie de la journée sur sa terrasse privée, elle possédait déjà un hâle qui sublimait sa peau et donnait davantage de profondeur à son regard. Cette offrande à Lesbos semblait lui apporter une assurance nouvelle.

— Cela fait des semaines que je ne me suis sentie aussi bien, dit-elle soudain, après avoir bu une gorgée de martini.

— Vous nous en voyez ravis, ma chère ! assura David. De fait, je vous trouve transfigurée.

La belle-fille de lord Bentham portait un pantalon écru avec une espèce de casaque caramel. Elle avait rejeté ses cheveux en arrière et les maintenait avec un serre-tête de métal doré à l’aspect de diadème. Sa distinction innée subjuguait.

Le petit homme dit, après l’avoir longuement contemplée ;

— Vous ressemblez à la reine Astrid de Belgique. Avez-vous vu de ses photographies ? Elle n’était que grâce et beauté. Elle est morte dans un accident d’automobile en Suisse…

Il réfléchit et ajouta :

— Si elle vivait encore, ce serait aujourd’hui une très vieille dame parcheminée.

— Conclusion, il est préférable de mourir jeune, fit Mary ; on y gagne une légende plus durable.


On entendait une rumeur sur le quai, des ronflements de moteur.

— Voilà le retour de nos terre-neuvas, annonça le nain, verriez-vous un inconvénient à ce que je regagne ma cabine ?

Il signa le coupon du bar et détala. Elles suivirent sa fuite dandinante du regard.

— Vous l’aimez sincèrement, n’est-ce pas ? demanda la marquise.

— Quand on aime, c’est toujours sincèrement, répondit Victoria.

— Vous tenez à lui à cause de son sexe ?

— Je l’ignore… Oui, peut-être. Qui peut le dire ?… Mary posa sa main sur celle de sa compagne de table.

— J’ai adoré vous embrasser, murmura-t-elle. La nurse eut un pâle sourire et retira sa main.

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