Dès qu’il se retrouva seul dans le couloir souterrain menant chez lui, sa colère tomba et il se prit à rire en évoquant l’air stupéfait de Jessie Lambeth à sa dernière réplique. Ainsi, « ces dames » avaient ourdi ce petit complot de « marieuses » et il les abandonnait au milieu du repas avec un sans-gêne que la duchesse ne serait pas prête à lui pardonner.
Victoria était en train de lire, à plat ventre sur le lit. Elle portait un déshabillé coquin comme les aimait David. Elle gardait une jambe dressée, ce qui découvrait haut sa cuisse bien faite. Le fils cadet du lord songea que Jessie Lambeth ne devait pas posséder un corps aussi délié, non plus qu’une peau plus délicate. Si sa mère avait pu concevoir l’attachement qui l’unissait à sa nurse, jamais elle n’aurait caressé cette sotte idée de mariage.
Il fit le résumé de sa soirée écourtée, mais au lieu d’en rire, Victoria se montra alarmée.
— Votre mère doit m’en vouloir terriblement pour cet écart ! gémit-elle.
— Mais vous n’étiez même pas là, ma chérie !
— Elle sait parfaitement que si je ne partageais votre existence, votre réaction n’aurait pas eu cette violence. Dans la mesure où je fais obstacle à ses projets elle va souhaiter m’évincer.
— Malgré ma taille, je suis un homme majeur et disposant de tous ses droits, gronda sir David.
— Elle peut vous couper les vivres ? suggéra-t-elle. Le duke doit être facilement manœuvrable.
— Si elle tentait une telle chose, je provoquerais un scandale dont elle aurait à pâtir. N’oubliez pas qu’elle est française et peintre, ce sont là des handicaps dans un milieu xénophobe et qui se défie des artistes. Dans notre monde on préfère les bassets hound devant la cheminée plutôt qu’accrochés à nos cimaises.
Il rit avec cynisme, content de sa boutade. A cet instant il haïssait sa mère. Victoria le comprit et crut bon de changer de conversation :
— A propos, le Norvégien a rappelé.
— Vous avez décroché ?
— C’aurait pu être une communication émanant de vous, objecta-t-elle.
— Que dit ce délicieux blondinet ?
— Il est désespéré. Je l’ai proprement confessé ; son désarroi est total ; votre belle-sœur lui a embrasé le corps et l’esprit. La marquise est à un moment de sa vie où tout est remis en question. Foyer sans âme, époux volage, ce n’est que grisaille et amertume autour d’elle. Le beau Scandinave arrive à point nommé pour éclairer un peu ce mélancolique destin.
David écoutait en acquiesçant, satisfait de ce qu’il apprenait. Il se doutait depuis toujours que Mary Bentham souffrait de ce mal implacable qui s’appelle l’ennui.
— Nous allons lui fournir des divertissements, assura-t-il d’un ton de jubilation. Seulement il ne faut pas tarder.
— C’est également mon avis, dit la nurse. Il est grand temps d’opérer.
Le mot surprit le nain.
— Opérer ? reprit-il. Vous avez raison : c’est bien une opération dont il est question. Telle que je vous connais, vous avez déjà dressé un plan d’action, mon cher cœur ?
Elle regarda l’heure.
— Il serait bon d’appeler ce nigaud. Donnez-lui des apaisements. Dites-lui que vous renoncez à votre projet, qu’il s’agissait d’une trop mauvaise farce et priez-le à déjeuner pour après-demain. Vous l’emmènerez dans une pittoresque auberge de campagne qui fera palpiter son cœur d’architecte ; j’ai besoin de trois ou quatre heures pour agir car il convient de ne pas bâcler.
Il s’apprêtait à la questionner, mais elle lui montra le combiné d’un geste autoritaire :
— Téléphonez-lui d’abord, sir ; ensuite nous aurons toute la nuit pour parler.
L’excitation rosissait son cou et mettait deux taches vives à ses pommettes. Il la devina si sûre d’elle-même qu’il en ressentit du bonheur.