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Les Bentham habitaient Charles Street, dans Mayfair, non loin de l’immeuble situé au 22, où vécut le duke de Clarence avant de devenir roi sous le nom de William IV. Cet oncle de la future reine Victoria demeurait avec sa maîtresse à laquelle, par amour et inadvertance, il fit dix enfants. La dame étant comédienne, elle passa une partie de sa carrière à exhiber son gros ventre sous les feux de la rampe qui lui servirent de couveuse.

La maison de lord Jeremy, d’une architecture parfaitement maîtrisée, était d’un brun foncé dans lequel s’inscrivait une porte d’un blanc crayeux. Elle s’entourait d’une grille noire flanquée à l’entrée d’éteignoirs de cierges coniques utilisés jadis par les gens d’escorte pour leurs torches. Parallèlement à la rue, une impasse proposait un alignement d’adorables maisonnettes issues des écuries qu’on avait transformées.

Sir David, le nain, s’était fait aménager l’une de ces constructions en garçonnière de luxe. L’habitation comportait au rez-de-chaussée un salon que n’eût pas désavoué une cocotte début de siècle et, au premier étage, une chambre de même style ainsi qu’une salle de bains beaucoup plus vaste où se trouvaient rassemblés, avec les éléments réservés à l’hygiène, d’étranges instruments dont l’usage échappait aux personnes non averties.

Grâce aux appuis de son père, sir David avait pu obtenir le percement d’un bref tunnel sous la rue, qui permettait d’aller de son pied-à-terre à la demeure familiale sans mettre le nez dehors.


Serrant maintenant l’escarpin de la princesse sur son cœur, il franchit le passage souterrain pour gagner son gîte où l’attendait Victoria Hunt.

Il s’agissait d’une authentique nurse, récemment sortie d’une des meilleures écoles professionnelles du Royaume.

Il avait fait sa connaissance sur un banc de Hyde Park. Son nanisme semblait fasciner la jeune femme, laquelle était en charge d’un affreux nourrisson aux cheveux carotte, dont les innombrables taches de rousseur ressemblaient à une maladie incurable.

Il s’aperçut vite, au fil de la discussion, de la vive intelligence de cette personne pleine de grâce. Elle le séduisit immédiatement, au point qu’il en eut une érection de force 5.

Sir David bandait beaucoup et à tout propos. La rumeur publique crédite les nains d’un sexe particulièrement fort, son anatomie ne démentait pas cette croyance populaire. Le pénis de ce bref gentleman offrait aux dames un périmètre d’à peu près vingt centimètres, ce qui lui créait fréquemment des problèmes d’intromission.

Après une conversation qu’il serait superflu de rapporter, la délicieuse nurse constata la protubérance frappant le petit homme et cessa de parler, tant fut grande sa médusance. S’apercevant de son effarement, sir David lui décocha un sourire indulgent.

« Mais oui, fit-il, il ne s’agit pas d’une tricherie. »

Il prit la main de son interlocutrice avec la prudente délicatesse que l’on met à cueillir une rose et la porta au point congestionné de son individu. Miss Victoria crut toucher une ligne à haute tension et faillit s’évanouir. Cet appendice brutal, énorme, ardent lui causa un émoi dont elle fut littéralement meurtrie.

Elle connaissait, pour les avoir pratiqués, quelques phallus non négligeables, mais aucun n’approchait le membre phénoménal soumis à son sens tactile. Il semblait vivre indépendamment de son propriétaire. Qu’il appartînt à un nain renforçait cette impression. Elle ne se lassait pas de le pétrir et ne tarda pas à forcer le pantalon de sir David pour lier connaissance de manière plus complète.

L’énorme « chose » se dilatait, vibrait, paraissait « respirer » entre ses doigts fuselés. Elle s’animait de soubresauts inconsidérés, déployait une telle furia qu’on pouvait craindre qu’elle se sépare du bas-ventre qui la portait.

Miss Victoria Hunt vécut, sur ce banc, l’instant culminant de son existence. Elle ne parvenait pas à se rassasier. Des sanglots la secouaient et elle émettait des sortes de râles, évocateurs d’une agonie difficile. Ils attirèrent l’attention de différents promeneurs qui, bien qu’ils fussent britanniques, jugèrent charitable de lui porter secours. Mais constatant que les mains de la jolie nurse s’engouffraient dans une braguette de nain, ils passèrent leur chemin, terriblement choqués de ces privautés qu’ils estimèrent « contre nature ».

Il s’ensuivit entre sir David et miss Hunt des relations surprenantes que ce livre se propose de raconter.

* * *

Elle l’attendait dans le studio, sobrement vêtue de bas résille et d’un porte-jarretelles de dentelle noire brodée de fleurettes bleu pâle. Une chaleur de serre lui permettait cette tenue. Un amour inextinguible de la lecture faisait qu’elle ne s’ennuyait jamais. Victoria dévorait de gros volumes consacrés à la littérature sentimentale, la seule qui la ravît, bien qu’elle fût passablement cultivée. Son tempérament romanesque la poussait à transformer sa liaison avec le fils de lord Jeremy en conte de fées.

Malgré son nanisme, elle le trouvait superbe. Son regard couleur ardoise la mettait en moiteur et son sexe démesuré la rendait hystérique. Elle éprouvait, depuis son plus jeune âge, un besoin de soumission qui s’accomplissait pleinement avec David. Beaucoup de femmes se rêvent esclaves. Il la subjuguait si complètement qu’elle voyait sa propre personnalité lui échapper progressivement. Sa conversation l’éblouissait et le plus sombre de ses caprices, le plus cruel de ses actes prolongeaient la félicité qu’elle ressentait en sa compagnie.


Elle vit tout de suite son expression triomphante et fut comblée.

Sans mot dire, il jeta l’escarpin sur le canapé, avec le geste blasé du chasseur exhibant un gibier rare.

Victoria avança timidement ses doigts vers le trophée.

— C’est à « elle » ?

Le sourire orgueilleux du nain le lui confirma.

— Mais que va-t-elle penser en ne le retrouvant pas ?

Sir David haussa les épaules, la question le laissait indifférent. Sa « nurse » ne put retenir un rire espiègle en évoquant la princesse en train de quitter l’hôtel particulier des Bentham privée de l’une de ses chaussures.

— Vous êtes un homme étourdissant ! assura-t-elle.

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