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Christina Hertford s’était mise en frais de toilette. Elle portait un pantalon de velours noir, un chemisier vert pomme avec, par-dessus, une canadienne de daim à col de fourrure qui accentuait sa silhouette hommasse.

Malgré le froid mordant, elle restait à sa fenêtre, guettant l’arrivée de Victoria. L’impatience serrait sa gorge et il lui arrivait de lâcher à haute voix des bribes de suppliques au Seigneur pour Lui demander d’abréger ses affres. Au dernier moment, elle redoutait que son grand amour ne se ravise sans seulement la prévenir ; la pensée de rester à l’affût pendant des heures glaciales et de sentir se racornir son bonheur la plongeait dans un effroi indicible.

Pourtant, à l’heure convenue, une Hilmann s’engagea dans sa petite rue tranquille et stoppa en double file à la hauteur de sa demeure. Victoria en sortit à demi, le visage levé vers l’étage. Elles s’aperçurent. La jeune femme eut un adorable geste de la main qui chavira le cœur de Christina. Elle répondit par le même signe, prit à peine le temps d’abaisser la vitre et s’enfuit de sa maison comme si elle avait été la proie des flammes.

Un instant après, elle plongeait de toute sa masse dans la petite voiture, gémissante de bonheur.

— Vous n’avez pas eu froid à cette fenêtre ? demanda la nurse.

— Le froid ! Comme si cela importait lorsqu’on a la joie de vous attendre, chérie !

N’y tenant plus, enhardie par la nuit qui les enveloppait, la puéricultrice engagea sa main droite sous la jupe de son ancienne élève. Victoria eut un sourire indulgent et la laissa caresser son entrejambe. La grosse femme émettait des râles d’extase et de voracité que sa compagne jugea ridicules, se demandant comment, quelques années auparavant, elle avait pu être troublée par une aussi sotte bestialité.

— Il faut que je conduise ! objecta-t-elle doucement.

L’autre la libéra et elles quittèrent le quartier.

Ne pouvant la toucher comme elle le souhaitait, Christina lui parla, débitant mille déclarations enflammées d’une voix que la passion rendait rauque. Elle lui disait son amour éperdu, la violence de son excitation, pleurait en évoquant cette sinistre période sans elle, lui demandait pardon d’avoir tant grossi, lui promettait de devenir rapidement une sylphide, narrait complaisamment les délices qu’elle lui procurerait. Toute à son délire hystérique, elle ne prenait pas garde à l’itinéraire suivi. Ce fut la faiblesse de l’éclairage extérieur qui attira son attention. Les lampadaires s’espaçaient, les immeubles devenaient de plus en plus bas. Çà et là, des palissades de planches obstruaient des trous d’ombre.

— Mais où m’emmenez-vous donc, ma tendre chérie ? questionna-t-elle.

— Au bout de la nuit, répondit Victoria d’un ton enjoué.

— Ah ! si seulement c’était vrai ! soupira Christina.

Elle regarda à travers sa vitre.

— Seigneur ! Que venons-nous faire à Whitechapel ?

— Auriez-vous peur ? plaisanta la nurse.

— Cher ange, avec vous j’irais en enfer.

— C’est précisément là que nous nous rendons, assura la jeune femme en s’engageant dans une impasse.

La Hilmann cahota dans des fondrières. Ses phares arrachaient de l’obscurité un décor improbable fait de ferrailles déshonorées par des lustres de rouille.

Cette fois, la passagère de Victoria réalisa l’anormalité de leur parcours.

— Mais enfin, douce biche, qu’est-ce que cela signifie ?

— Je veux vous faire vivre un amour fabuleux, Christina.

— Vraiment ?

La voiture stoppa devant la porte pantelante d’un ancien entrepôt désaffecté.

— C’est là ! fit la maîtresse de sir David, descendons !

La corpulente Hertford ne fit pas un mouvement, paralysée par la stupeur et un début de panique. Alors sa portière s’ouvrit, des mains masculines l’empoignèrent par le col de sa canadienne et l’arrachèrent de l’auto. Elle commença de crier, mais reçut immédiatement une manchette sur la nuque qui la chavira.

Elle fut traînée dans un bâtiment à la toiture éventrée, aux verrières brisées. Dans un angle de la construction en ruine, une lampe électrique portable répandait une lumière rouge pour voie ferrée. Un vieux matelas crevé et constellé de larges taches innommables gisait à même le sol de ciment. Deux hommes de mauvaise mine, coiffés de casquettes enfoncées jusqu’aux sourcils, fumaient, mains aux poches, adossés au mur. Les malandrins qui s’étaient assurés de la puéricultrice propulsèrent celle-ci sur l’odieux matelas. L’étourdissement qu’ils venaient de lui infliger se dissipait et elle se remettait à glapir. Le « Chinois » qui dirigeait le commando sortit un cran d’arrêt de sa poche et en fit jaillir la lame.

— Que j’entende un seul cri et je vous coupe la gorge ! annonça-t-il.

La malheureuse chercha « son grand amour » du regard et le trouva assis sur un tas de briques. Elle crut souffrir d’hallucinations on apercevant un nain debout à son côté qui lui tenait la main.

L’effroyable incompréhension dans laquelle elle se débattait constituait une authentique torture.

— Déshabillez-vous, la grosse ! ordonna l’homme au couteau.

Comme elle ne bougeait pas, il approcha la pointe de son arme de son orbite gauche.

— Vite ! Sinon je vous fais sauter les yeux !

Au comble de l’horreur, Christina défit sa canadienne et la chassa de ses épaules. Elle se tenait assise sur ses talons, en une posture de prière éperdue.

— Levez-vous, la mère et posez votre putain de pantalon !

La lourde femme venait de comprendre que seule une totale soumission pouvait épargner sa vie, mais aussi que cet espoir demeurait très aléatoire. Sous le pantalon, elle portait une culotte immense, couleur fumée, avec de la dentelle rose autour des cuisses.

— Le slip ! enjoignit son tourmenteur.

Elle hésita, une gifle lui emplit la tête d’étincelles.

Vaincue, larmoyante, reniflante, elle fit glisser la coquine lingerie jusqu’à ses chevilles.

— Parfait, déclara celui que sir David appelait « le Chinois ».

Puis, se tournant vers le couple, il interrogea :

— Programme ?

Le nain s’approcha de miss Hertford et ouvrit son pantalon. Il dégagea de ses brailles son monstrueux sexe déjà belliqueux.

Sur un geste de lui, Victoria le rejoignit, tomba à genoux devant son amant et prit son énorme moignon dans la bouche. Sidérés par l’importance de ce pénis, les malfrats contemplèrent cette fellation avec incrédulité. Leur saisissement fut tel qu’ils s’abstinrent de tout commentaire.

Lorsque sir David sentit venir l’apothéose, il récupéra prestement son membre et se libéra sur la figure mafflue de miss Christina en s’écriant :

— Tenez, sorcière, vous n’êtes pas digne de cette semence !

Après quoi, il remit un peu d’ordre dans sa vêture, et s’adressant à ses spadassins, leur dit, non sans emphase :

— Elle est à vous, messieurs !

Chose étrange, ces gens de sac et de corde paraissaient soudain intimidés.

— Eh bien ! qu’attendez-vous ? leur lança-t-il.

Ils se concertèrent du regard, puis, le plus dépenaillé des quatre, le plus âgé aussi, s’agenouilla entre les cuisses flasques et veinées de la puéricultrice et ne tarda pas à la besogner mornement La femme poussait de petites plaintes qu’elle ne parvenait pas à réprimer.

Ce viol parut si lamentable à Victoria qu’elle demanda à son amant de faire grâce des trois autres. Il accepta, ce dont les « rescapés » se réjouirent, et paya les tire-laine modernes sans marchander. Ils s’empressèrent de détaler en louant son magnifique sexe et sa générosité.

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