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Il s’allongea sur le grand canapé, au côté de Victoria, caressant la chaussure de lady Di comme s’il se fût agi d’un animal familier.

Ce n’était pas la première fois qu’il se dissimulait sous la grande table pour contempler les cuisses des invitées de sa mère. Sir David possédait un Nikon très sophistiqué avec lequel il lui arrivait de prendre des photographies de leur intimité. Généralement, sa moisson d’images n’offrait pas grand intérêt à cause de ces satanés collants que, jeunes ou vieilles, elles s’obstinaient à porter. Il se consolait de ses échecs en se livrant à des farces pendables. Ainsi, ayant trouvé des préservatifs dans l’un des réticules qu’elles posaient à leurs pieds, il en avait saupoudré l’intérieur de piment, et procédé de même avec des tampons périodiques ou des Kleenex, avec le regret que ces innocentes niches fussent peu gratifiantes pour lui, puisque le résultat lui en échappait.

Le nain considérait la malfaisance comme un art noble ; il aimait nuire avec passion. Doté d’un esprit inventif, il renouvelait inlassablement ses trouvailles. Il agissait moins par vice, peut-être, que par goût du risque. Il possédait un tempérament espiègle. Parfois, il s’habillait comme un garçonnet, jouait au demeuré, pour aborder une femme et l’implorer de lui faire faire pipi en l’appelant « mamy ». Il choisissait généralement des femmes au visage avenant qu’il présumait compatissantes. La plupart du temps, ses victimes, embarrassées, acceptaient de le conduire dans un lieu propice à cette libération. Il les laissait s’affairer sur ses brailles, se repaissait de leur effarement quand elles en dégageaient un sexe de cheval, roide et vibrant comme la corde d’un arc. Sir David en profitait pour glisser la main sous leurs jupes et palper violemment leur toison pubienne à travers les étoffes chargées de la défendre. Affolées, n’osant crier, les charitables personnes se débattaient silencieusement ; l’une d’elles, trouvant probablement l’aventure cocasse, se laissa tripoter sans regimber et y prit un plaisir dont le fils de lord Bentham conserva durant plus de vingt-quatre heures le souvenir au bout des doigts.

Lorsque Victoria Hunt survint dans son existence, qu’il l’eut « initiée », puis « formée », il connut la confortante sensation que doit éprouver un joueur de football accédant à la Ligue professionnelle. Le champ de ses expériences s’élargit et il se sentit invincible. Par son enthousiasme, elle cautionnait ses « frasques ». Elle adhérait à toutes ses entreprises, principalement aux pires, les peaufinait quand elle le pouvait. Ce qu’elle lui apportait allait bien au-delà de la complicité : elle devint sa muse.

Le père de la jeune femme avait, pendant vingt ans, travaillé pour la brigade de répression des jeux à Scotland Yard. On l’en avait brutalement radié après qu’eut disparu une très importante somme d’argent dans une salle clandestine tenue par le gratin de la pègre londonienne. A la suite de ce sombre licenciement, Jack Hunt ouvrit un bar plutôt équivoque dans la périphérie de Wapping, près des docks. Il divorça et prit pour concubine une virago à la rousseur de clown.

La mère de Victoria, Lisbeth, qui adorait son époux, faillit mourir de chagrin. Pour réagir contre la neurasthénie, elle se mit à boire et devint assez rapidement la plus considérable alcoolique de son quartier, au point qu’elle interrompit toute activité (elle était caissière dans un drugstore) et passa désormais sa vie installée dans un fauteuil, consommant une folle quantité de liqueurs étranges dont les couleurs soulevaient l’estomac.

La fille de ce couple à la dérive termina son école de nurses contre vents et marées et, courageusement, assura la vie matérielle de sa mère.

Sa profession, contrairement à ce qu’elle pensait au départ, ne lui apporta pas les satisfactions qu’elle en escomptait. Se vouer à des bébés de riches, porteurs des gènes de leurs parents, lui parut rapidement une occupation ingrate. Elle trouva « ses nourrissons » antipathiques. Leurs cris féroces la déprimèrent davantage que les récriminations de leurs procréateurs. Au cours des nuits blanches qu’elle passait près de leurs berceaux, elle exerçait sur eux d’innocents sévices, tels que leur proposer des biberons brûlants, leur tordre les testicules (quand il s’agissait de petits mâles), enduire leurs sucettes de moutarde extra-forte, ou même leur faire absorber des barbituriques.

Sa rencontre passionnelle avec le fils de lord Bentham lui permit d’échanger cette existence de galère contre une vie étourdissante où le luxe, le crime et la jouissance venaient remplacer ses rêves étiolés de jadis.

Etre la partenaire de ce nain machiavélique devait constituer l’époque la plus enthousiasmante de son étrange destin.

En compagnie de sir David, toutes les conventions, toutes les contraintes tombaient ; riche, puissant, il ignorait la notion du mal, ce qui le rendait totalement libre.

Elle le devint également ; avec lui et pour lui.

* * *

Sir David caressait la chaussure princière, dans l'espoir d'un trouble qui tardait à se manifester. Comme à peu près tous les hommes du Royaume-Uni, lady Di le faisait délirer. Il souhaitait lui pratiquer de perverses intromissions et fixer ces instants rares sur des clichés artistiques, afin d’en conserver la plaisante image. Victoria, qui connaissait son dessein, ne cherchait pas à l’en détourner, sachant combien il était imperméable à la discussion. Elle jugeait préférable de lui prêcher la patience.

Il s’empara de l’escarpin et le passa au pied de sa nurse lequel se montra plus court d’une ou deux pointures. La jeune fille en conçut un légitime orgueil.

Puis il s’agenouilla sur le tapis et se mit à couvrir le soulier de baisers éperdus. Il comptait sur une violente érection qui ne se produisit point. Cette carence inhabituelle le surprit car, généralement, il fantasmait violemment sur les éléments vestimentaires féminins.

Avec dépit, il arracha la chaussure et la lança loin de lui.

— Nous devrions mettre un peu de musique, suggéra Victoria.

Il acquiesça. Elle s’en fut enclencher l’appareil chargé d’une sélection de morceaux qu’il aimait. Les premières mesures de Lohengrin s’élevèrent.

Le nain sentit aussitôt la paix descendre en son âme bouillonnante. Il ferma les yeux, croisa ses brèves mains sur son ventre et se laissa glisser dans une espèce de tendre chagrin inexplicable qui lui amena des larmes.

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