Ils se rendirent chez le Norvégien pour le mettre au courant de la situation mais Olav ne répondit pas aux coups de sonnette. Comme Victoria gardait toujours un double des clés dans son sac, elle ouvrit.
La première chose qu’ils remarquèrent en pénétrant dans le pied-à-terre, ce furent les photos calcinées dans la cheminée au feu déclinant. Ensuite, ils avisèrent le matériel photographique sur la table du salon. Il servait de presse-papiers au feuillet sur lequel Hamsun avait écrit : « Merci pour tout », soulignant les deux derniers mois.
Les amants se regardèrent.
— Vous croyez qu’il a compris ? demanda la nurse.
— Évidemment. En fait, il n’était pas si bête que ça, ce petit Scandinave.
Outre le message, Olav avait laissé l’argent qui lui restait sur la somme généreusement offerte par sir David.
En femme avisée, Victoria explora les placards pour s’assurer que le locataire avait bien évacué ses effets et objets personnels. Elle faisait cela par acquit de conscience, sachant déjà qu’il s’agissait d’un départ sans esprit de retour.
Lorsqu’elle eut terminé cette inspection, son amant s’approcha d’elle et souleva ses jupes. Ce nid d’amour l’inspirait ; il se montrait sensible à l’atmosphère feutrée qui y régnait. Ayant dévêtu la partie sud de la nurse, il la pria de mettre un pied sur la table tout en restant à la verticale et lui pratiqua l’amour à l’équerre, selon une figure illustrant un manuel érotique du xviii siècle.
A cause de sa taille, cet accouplement relevait de l’exploit, mais sa partenaire se plia avec beaucoup de science et de bonne volonté à la manœuvre. On a déjà vu des bassets mâles couvrir des bergers allemands femelles, les transes de la sexualité se prêtant aux prouesses les plus saugrenues.
Quand ils eurent mis à jour leur brusque fringale, sir David insista pour qu’ils s’étendent sur le lit où Mary avait connu l’amour débridé.
Les mains croisées derrière la tête, il évoquait cette femme rigide, l’imaginait dans ses débordements. Il songeait que les supputations sont fallacieuses en matière sexuelle. Telle créature à l’air volage est parfois, au lit, d’une triste platitude, tandis que telle dame de bon maintien, comme sa belle-sœur, s’y comporte de façon sauvage.
— Nous allons utiliser cet endroit, fit-il en caressant les cuisses de Victoria. Il y règne une ambiance capiteuse, ne trouvez-vous pas ?
— Tout à fait, reconnut la jeune femme.
— Vous croyez qu’elle va mourir ?
— Je ne le pense pas. Suicide de midinette, sir. Ceux qui souhaitent sincèrement en finir avec l’existence sautent d’un dixième étage ou se jettent sous le métro.
— C’est également mon avis, dit-il.
Il se sentait repu, presque heureux. Que sa belle-sœur ne meure pas, surtout ! Qu’elle réchappe à ses idiotes pilules, et alors il s’occuperait d’elle. Désormais » elle serait brisée, complètement à sa merci.
Le soir, il dîna chez ses parents, histoire de marquer sa solidarité. Il s’y rendit sans la nurse, comme pour offrir à sa mère un geste d’allégeance. Son frère, sir John, participait également au repas, car les familles se soudent dans l’adversité. L’aîné des Bentham vivait mal le « suicide » de son épouse ; il craignait que la chose s’ébruite. Bien qu’il eût recommandé la plus totale discrétion à son personnel, il n’ignorait pas que ce genre de nouvelle se contient difficilement et qu’elle finit peu à peu par être colportée aux quatre coins du royaume.
Sa mère, en femme avisée, conseillait de lâcher du lest plutôt que de nier une réalité qui finirait par s’imposer. Elle préconisait d’accréditer la version d’une grave maladie. Dans un moment de panique la marquise avait eu la tentation d’en finir.
Les hommes du clan approuvèrent cette présentation classique qui allait provoquer la compassion générale.
Lorsqu’ils eurent admis la solution proposée par lady Muguette, John murmura :
— Cela ne m’explique pas le geste de Mary.
Il y eut un silence embarrassé.
L’époux trompé donna de la lame dans un rosbif que sa mère s’obstinait à exiger saignant et enchaîna :
— Lorsque je suis allé la visiter à l’hôpital, elle venait à peine de reprendre conscience et a imploré mon pardon. Pardon de quoi, selon vous ?
— Grand Dieu, mais de son acte ! fit violemment la duchesse. Un suicidé raté culpabilise vis-à-vis de ses proches, car en souhaitant mourir il les désavoue.
— Et pourquoi a-t-elle voulu mettre fin à ses jours ? questionna le juriste.
— Puisque nous sommes en famille, je vais me montrer franche, mon garçon : vous délaissez passablement votre épouse depuis quelques années. Les hommes de votre âge songent davantage à leur carrière qu’à leur foyer.
— Croyez-vous ? fit le mari, contrit.
— Évidemment ! Mary approche de la quarantaine ; c’est un moment difficile de la vie d’une femme. Lorsqu’elle sera rétablie, suivez mon conseil : offrez-lui une nouvelle lune de miel à Venise ou Acapulco.
Convaincu par l’argument maternel, John se sentit rasséréné. Il décida d’envoyer une superbe corbeille de roses à l’hôpital, le lendemain.
Trônant sur sa chaise haute, le nain se délectait. Il évoquait le sexe de sa belle-sœur, épanoui, sur l’une des photos brûlées. Un jour il appliquerait sa bouche sur une telle splendeur et s’en régalerait. Il disposait d’une éternité pour atteindre ce but fabuleux. L’existence ne valait que par les défis qu’on lui lançait.