29

Elle marcha rapidement et ne prit pas garde au chemin du retour : elle poussait la voiture du bébé avec énergie en évitant de regarder à l’intérieur.

Son cœur battait fort. Dans la crainte d’être suivie, elle jetait de fréquents coups d’œil par-dessus son épaule. Mais le flot dense des piétons moutonnait sur le trottoir, indifférent à la panique qui, pour la première fois, la saisissait.

Elle revoyait sans répit le minuscule dard à l’empennage noir se ficher dans la pommette rougeoyante. « Une mouche ! » songeait-elle. Rien d’autre qu’une grosse mouche velue. Et qui avait lâché prise presque immédiatement, chassée par le gant du horse-guard.


Lorsqu’ils furent de retour dans la garçonnière de sir David, elle se laissa tomber sur le canapé du petit living, sans forces. Ses palpitations ne cessaient pas. Le nain s’inquiétant, elle saisit sa main et la plaqua sur son sein. Il fut alarmé par ces battements désordonnés.

— C’est extravagant, fit-il. Dois-je appeler un médecin ?

Elle secoua la tête.

— Cela va passer, promit-elle d’un ton d’excuse.

— Mais pourquoi vous être mise dans cet état ? reprocha David.

— J’ai eu très peur, avoua-t-elle ; comme si j’avais l’absolue certitude que quelqu’un allait vous prendre sur le fait.

Il posa un baiser sur sa bouche blême.

— Allongez-vous, ma chérie. Je vais vous donner à boire. Souhaitez-vous de l’alcool ?

— Surtout pas.

— Alors un jus de grape-fruit glacé.

Il l’obligea à s’étendre et la recouvrit d’un plaid écossais. Puis il prépara la boisson promise, la regardant à tout instant pour s’assurer qu’elle n’allait pas plus mal.

— Buvez lentement.

Il lui tint le buste relevé et fut satisfait de lui voir absorber le contenu du verre.

Quand ce fut fait, il éteignit l’électricité. La pièce recevait peu de lumière extérieure et l’on devait laisser les lampes allumées pendant la journée.

La pénombre leur apporta un bien-être immédiat. Le nain s’assit sur le tapis et posa le front contre la cuisse de Victoria. Autour d’eux, ce n’était que silence et clair-obscur. De temps à autre, il avançait la main sur la gorge de la nurse et constatait que sa tachycardie se calmait. Lui qui souffrait parfois de ces déchaînements cardiaques, appréciait qu’elle en fût également affectée, comme si ce phénomène eût constitué un lien supplémentaire, une raison de plus de s’aimer. Au bout d’une période d’apaisement, elle chuchota :

— Je suis bien.

Puis, après une nouvelle plage de mutisme :

— Je vous aime éperdument, sir. Vous offrir ma vie serait pour moi un grand bonheur.

— J’en ai trop besoin pour accepter, assura joliment David. Aussitôt après ce délicat échange, le ronfleur du téléphone intérieur retentit.

Tom Lacase annonçait à son maître qu’une femme était là, porteuse d’un message ultraconfidentiel à son intention. Elle venait, mandatée par Jessie Lambeth, et devait remettre son pli en main propre.

— Qu’elle aille se faire aimer ! riposta David.

Mais la nurse lui saisit le bras.

— Non, sir. Après votre comportement d’hier, vous devez la recevoir.

Il fixa Victoria, troublé. Puis ordonna au Noir d’accompagner la messagère.

Cette dernière déclara se prénommer Rosy et être la femme de chambre de miss Jessie. Il s’agissait d’une jeune personne plutôt bien prise qui avait dû fournir pas mal d’efforts pour se débarrasser de son côté ordinaire. Elle coltinait avec bravoure une énorme poitrine de nourrice et ses cheveux couleur de crin végétal tire-bouchonnaient sur ses oreilles. Son visage, cependant, ne laissait pas indifférent, à cause de deux grands yeux verts qui exprimaient la malignité.

Elle portait une jupe ample, imprimée, un sweater rose bonbon avec, jeté sur le tout, un ciré noir et brillant comme de la peau de squale.

Rosy ne semblait pas gênée par l’attitude du couple. Le nain conservait sa posture de soupirant transi gardant la main de sa maîtresse dans la sienne.

— Eh bien ? demanda-t-il sèchement.

Sans se montrer troublée par cet accueil peu aimable, la fille sortit un pli de son imperméable.

— Miss Lambeth m’a chargée de remettre cette lettre à Votre Honneur. Elle demande que vous la lisiez, puis me la rendiez ensuite.

— Pourquoi ne me téléphone-t-elle point, si elle entend s’adresser à moi sans laisser de trace ?

La soubrette eut un geste d’impuissance.

— Bon, donnez-moi ce message, je vous le rendrai après lecture.

Elle s’approcha en tendant la lettre.

— Vous sentez bon, fit David. Est-ce le parfum de votre maîtresse ?

— Non, c’est le mien.

— Alors vous avez bon nez !

Il se saisit du pli, en éventra l’enveloppe avec son auriculaire.

— Vous permettez ? demanda-t-il à Victoria.

Il se mit à lire et sa surprise se mua rapidement en effarement.

Le texte de la missive était le suivant :

Merveilleux sir David,

Non, ne croyez pas à quelque insolence de ma part : merveilleux, vous l’êtes absolument.

Je mesure votre stupeur en apprenant ce projet d’union entre nous. Aussitôt, vous fûtes en alerte et imaginâtes tout et le reste. Qu’une fille à peu près normale, née de parents riches et titrés vous veuille pour époux a de quoi vous désorienter et vous inciter à la défiance, je sais. Il faut que je tente, non de me justifier, mais du moins de vous expliquer. Cela remonte à un an environ. A cette époque encore proche, vous avez caressé l’idée de pratiquer le tennis. Vous prîtes donc un abonnement à un club dont je faisais partie. Je n’ai pas la prétention de croire que vous m’y avez remarquée, vous avez passé si peu de temps sur les courts que ce serait improbable. Sachez simplement que moi j’ai été intéressée par votre personne si particulière et attachante.

Une après-midi, après votre leçon avec un professeur, vous êtes allé prendre une douche. Par erreur, vous entrâtes dans la partie réservée aux ladies. Je m’y trouvais et eus la présence d’esprit de me dissimuler derrière une corbeille de linge à laver. Depuis ma cachette, sir David, je vous vis entièrement nu et ressentis de ce fait le choc de mon existence. Seigneur, quel pénis ! Sur le moment, j’eus du mal à croire que cela en était un. La surdimension de cet appendice est telle qu’on ne peut admettre de prime abord qu’il appartienne à un humain ! J’étais tétanisée, comme l’écrivent les romanciers à bas prix ; ne pouvais m’arracher à la vue de ce membre phénoménal ; croyais m’en sentir pénétrée. L’eau chaude de la douche ajouta à sa vigueur et il devint ardent. Vous cacherai-je, merveilleux David, que j’en fus malade de désir, moi qui, jusqu‘à ce jour, ne connais de la possession que ce que nous en montrent les films hard des chaînes privées, à des heures infréquentables ?

Depuis cet instant de prodigieuse révélation, j’aspire à devenir vôtre. J’ai besoin de vous pour vivre. O mon aimé, mon régnant, je serai à vous ou bien à personne.

Jessie L.

David laissa retomber sa main qui tenait le message enflammé. Il éprouvait une sensation bizarre, un peu comme s’il venait de percuter un obstacle. Un jour de son enfance à la campagne, alors qu’il courait après un gros poulet afin de le tuer à coups de bâton, il avait heurté de la tête la ridelle d’une charrette. Le choc avait été si violent qu’il était resté au sol, sans réaction, voire sans pensées. Il conservait de cette secousse une impression confuse, faite d’effroi et de désespoir. A croire que ce traumatisme laissait en lui quelque chose de capital. Son existence en avait été ébréchée. Pendant une période assez longue, il pleura dans son lit, le soir, avant de s’endormir.

A cet instant, il retrouvait l’état semi-comateux ayant suivi le coup.

— C’est grave ? interrogea doucement Victoria, alarmée par son attitude.

— Non, répondit-il. C’est fou.

Il redressa la lettre, la relut rapidement, puis la tendit comme promis à la femme de chambre.

— Tenez, Rosy, reprenez-la ; mais je le déplore, car elle constitue un document.

La fille s’en empara et s’approcha de la cheminée où végétait un feu de boulets qui aurait tenu dans une coupe à dessert.

— Puis-je la brûler, Votre Honneur ? demanda l’ancillaire : c’est le souhait de Sa Grâce.

— Faites ! répondit-il.

La servante tordit le grand feuillet de vélin et le plongea dans les braises. Il produisit un peu de fumée, puis s’enflamma en force. Il se consuma rapidement, donnant une brève vigueur à l’âtre somnolent qui retrouva vite son apathie.

— Son Honneur est témoin que j’aurai obéi aux instructions de ma maîtresse, dit-elle avec un demi-sourire.

Il existait chez cette fille un aspect plaisant provenant sans doute de son tempérament primesautier.

— Puis-je demander à Son Honneur la permission de me retirer ? s’enquit-elle.

— Pas tout de suite, dit David. A mon tour je vais vous charger d’un message pour Jessie. Approchez, ma jolie, et asseyez-vous sur ce pouf.

Intriguée et profondément intimidée, la femme de chambre obéit.

David chuchota à l’oreille de sa nurse, laquelle suivait la conversation en silence et sans marquer de réaction. Malgré son sang-froid, Victoria eut un haut-le-corps.

— Oh ! sir ! protesta-t-elle.

— Faites ! ordonna-t-il avec cette rudesse qui réapparaissait dès qu’on le contrariait.

Résignée, elle se laissa glisser du canapé pour venir s’asseoir auprès de lui sur le tapis.

— Ma chère Rosy, fit alors David, vous risquez d’être profondément choquée par ce à quoi vous allez assister. Je vous demande de suivre attentivement les faits et gestes de miss Victoria ici présente et de les rapporter en toute intégrité à votre délicieuse maîtresse.

Il passa sa main dans le décolleté de la nurse, après l’avoir dégrafe, et dégagea son sein gauche dont il se prit à lécher la pointe.

Devant cette scène un tant soit peu orgiaque, la femme de chambre voulut fuir. Mais le nain qui la guignait d’un œil poussa un cri qui la glaça. Se croyant en danger, elle s’immobilisa.

— Ne paniquez pas, ma chère, la rassura sir David, vous ne craignez rien.

Son sourire, bien qu’il semblât machiavélique à la jeune femme, la calma quelque peu, Elle attendit donc la suite des événements, craintive mais piquée par une curiosité féminine.

Le petit homme se haussa jusqu’au canapé où il prit place, les jambes en fourche, le bassin très en avant. Sa nurse le déboutonna avec application et entreprit d’extraire son remarquable sexe, qui provoqua chez Rosy une grande incrédulité mêlée d’effroi.

Abasourdie autant que sidérée par une pareille anomalie de la nature, la soubrette secouait doucement la tête, comme pour nier l’évidence.

Il se passa alors un prodige : la jeune femme en blouse blanche se pencha sur ce membre terrifiant et en mit l’extrémité dans sa bouche.

— Un Instant, murmura David.

Il donna, par jeu, quelques chiquenaudes mutines à son fabuleux organe.

— Une dernière chose, ma belle, fit-il à l’ancillaire, après quoi je vous ferai raccompagner. Venez saisir mon pénis de vos jolis doigts et essayez ensuite de vous en rappeler le diamètre ; je veux que vous puissiez faire à la douce Jessie un rapport fidèle de son importance.

Comme la jeune fille terrifiée ne bougeait pas, il s’approcha d’elle, le sexe ballant.

— Prenez-le, espèce d’idiote !

Elle avança la main sur cette bête roide et vibrante, s’en emparant avec quelque difficulté, la pétrit un instant, chavirée, balançant entre la répulsion et une effroyable convoitise.

— Vous vous souviendrez parfaitement de vos impressions ? Et de l’importance de ce phallus ? A présent, retournez auprès de cette salope de Jessie et dites-lui que jamais il ne sera pour elle !

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