10 heures du matin.
Bureau exigu de Bellanger, dans les combles du 36, quai des Orfèvres. Des cigarettes écrasées dans un cendrier. Rien de personnel sur les murs. Ni photos ni souvenirs. Des persiennes baissées pour limiter la chaleur. Les rayons du soleil striaient le visage grave et fatigué du chef de groupe qui venait de découvrir le contenu de la boîte à chaussures.
Ça lui avait mis comme un coup derrière la tête.
Un peu en surplomb, un ventilateur brassait un air usé, lourd, qui ne rafraîchissait plus rien. Le capitaine de police se massa longuement les tempes.
— Douze filles, putain.
Il fixa Sharko, le visage grave, et se leva. À certains endroits des combles, il devait se baisser.
— Et ce taré qui déverse ses horreurs sur une bande sonore.
— C’est gratiné, oui.
Bellanger eut une faiblesse, il s’appuya sur le bois usé, devant lui. Il avait la mine ravagée par le manque de sommeil.
— Je ne tiens plus debout, je comptais sur mes congés pour me remplumer un peu mais… Il faut que je rentre chez moi… Me doucher, dormir quelques heures, manger un truc qui ressemble à autre chose qu’à une tranche de pain. J’ai passé la nuit à régler de la paperasse et, depuis ce matin, Robillard et moi, on donne des coups de fil dans le vide. Y a personne dans les bureaux.
Sharko était allé saluer le lieutenant Robillard dans l’open space avant d’entrer ici. Pascal Robillard était leur grand spécialiste des procédures et de tout ce qui touchait aux recherches dans les fichiers informatiques.
Nicolas Bellanger prit la boîte à chaussures et les deux tableaux.
— Je vais aller les déposer moi-même à côté. Il y a deux ou trois laborantins qui traînent, je vais demander l’analyse ADN des cheveux, des ongles et des dents en priorité. Essayer de déterminer s’ils proviennent du même individu.
— Il y a… le portefeuille, aussi. Vu ce qu’on a entendu dans l’enregistrement, il est possible que…
Bellanger serra les lèvres.
— On verra bien. Merci pour la boîte, et… bien vu, Franck. Y a que toi qui pouvait la dénicher, celle-là.
Sharko approuva d’un mouvement de tête.
— Je peux rester une heure ou deux, si tu veux, mais pas plus. J’ai promis à Lucie un…
— Te bile pas. J’ai passé les appels qu’il fallait, les gens se bougent mais au ralenti, si tu vois ce que je veux dire. Le juge ne peut pas me recevoir avant 17 heures, le divisionnaire abrège ses congés mais ne sera pas là avant la fin de journée…
Sharko resta silencieux. Claude Lamordier, leur big boss, n’était déjà pas, à la base, le type le plus rigolo de la planète. Il risquait d’être de très mauvais poil.
— … Robillard va commencer à interroger les fichiers pour les douze filles, poursuivit Bellanger en se frottant le front. Voir s’il n’y a pas eu de disparitions en masse. Levallois revient en début d’après-midi filer un petit coup de main, Robillard le branchera sur la recherche de ce « PF » au bas des dessins. Il va jeter un œil au niveau des détentions ou des sorties de prison, en attendant le retour de l’analyse ADN des cheveux. Quant à toi… Je préfère que tu gardes tes forces pour les prochains jours. Demain, on aura du nouveau.
Il soupira et tira une cigarette d’un paquet.
— Passe le bonjour à Lucie. Ça va, elle ? Et tes mômes ?
— Tout roule. On s’éclate comme des fous tous les quatre. On va aller faire un pique-nique au bord de l’eau aujourd’hui. Prendre l’air ensemble. Profiter de la lumière. On est comme les plantes vertes, on en a besoin.
Sharko s’apprêtait à sortir, mais il se retourna et ajouta :
— J’étais exactement comme toi, à trente-cinq piges. À trop tirer sur la corde, elle a fini par me péter à la gueule. Tu connais mon histoire, tu sais par quoi je suis passé. Tu dois prendre davantage soin de toi.
Bellanger eut un petit sourire.
— Merci, encore une fois, pour la petite leçon, mais ça ira.
— C’est ce que tu crois. Tu devrais arrêter d’habiter dans ton bureau et te trouver quelqu’un, Nicolas. Parce qu’il n’y a qu’une bonne femme qui pourra te sortir de là.