Ce soir-là, Camille rejoignit Nicolas Bellanger qui l’attendait au bas de son hôtel de L’Haÿ-les-Roses.
Le jeune capitaine de police écarquilla les yeux. Il eut l’impression de voir une fille complètement différente de celle qu’il avait quittée quelques heures plus tôt. Elle portait un pantalon en cuir noir moulant, un tee-shirt noir qui soulignait bien la forme de ses abdominaux sous une veste en cuir rouge, et des chaussures à talons qui la grandissaient encore. Un maquillage appuyé mettait en valeur son regard et le dessin de ses lèvres pleines. Elle avait plaqué ses courts cheveux bruns vers l’arrière avec du gel.
Nicolas Bellanger en avait le souffle coupé.
— Impressionnant, fit-il. On dirait Brigitte Nielsen, mais en brune.
— Je dois le prendre comme un compliment ?
— Plutôt, oui.
— Il n’y a pas de dress code particulier dans ce club, mais vaut mieux être dans le ton, expliqua-t-elle. Le rouge, le noir. Sang et ténèbres.
Elle écarta discrètement le pan de sa veste alors qu’ils sortaient dans l’obscurité. Il était 22 heures passées.
— Il y a plus de deux mille cinq cents euros en liquide dans la poche intérieure. Un livret A qui traînait…
Nicolas jeta un œil aux billets.
— Merde… On n’en a pas parlé mais c’est pas à toi de payer pour ça.
— Laisse tomber. C’est pour la bonne cause, non ?
— Oui, mais ça m’embête.
Nicolas passa malgré tout à leur mission de la nuit :
— Bon… Lucie a insisté pour nous aider, puisque Sharko n’est pas là. Elle est déjà en place à un café près du club SM, je te dépose à trois ou quatre rues de là. Tu entres dans L’Olympe et essaies de localiser cet Érèbe.
— Le problème, c’est que, lui, je ne sais pas à quoi il ressemble. Je vais devoir tâtonner.
— Au moindre souci, si tu sens que…
— Je sais, le coupa Camille.
— Très bien. Ton téléphone portable ne fonctionnera probablement pas dans les catacombes. Tu seras seule. Tu descends, tu restes dans le clan des mateurs, des acheteurs. Pas de zèle, observe juste, fais comme les autres, imite leur comportement. Il y aura peut-être le symbole des trois cercles, ou un sigle quelconque. CP te proposera peut-être des « objets » qui te parleront.
— Comme un portefeuille en peau humaine portant ses initiales, par exemple.
— Par exemple. N’oublie pas que c’est sans doute l’endroit où ceux qu’on traque se sont rencontrés. Si tu penses localiser CP, tu mémorises son visage mais tu ne fais rien, surtout. On le tracera à sa sortie. Il suffit qu’il monte dans sa voiture, et on récupère sa plaque d’immatriculation.
— Oui, papa.
Bellanger évita le périphérique et remonta vers Paris en passant par Villejuif puis la place d’Italie. Le téléphone de Camille vibra. Elle observa le nom affiché : Boris. Elle ne décrocha pas, serrant l’appareil entre ses mains.
— Un collègue…
— Il appelle tard. Pourquoi tu ne réponds pas ?
— Je préfère.
— C’est plus qu’un collègue, c’est ça ?
Chaque vibration était comme une torture, et elle s’en voulait horriblement. Il n’y eut pas de petite enveloppe indiquant l’arrivée d’un message. Boris avait dû raccrocher.
— Disons que c’est compliqué, répliqua-t-elle. Avec Boris, on n’est pas ensemble mais… on ressent des choses, l’un pour l’autre. Depuis longtemps. Mais ça ne s’est jamais concrétisé.
Le visage de Nicolas s’obscurcit un peu. Elle soupira.
— Ça aurait été chouette qu’on se rencontre avant, fit-elle. Dans d’autres circonstances…
— Le plus important, c’est qu’on se soit rencontrés, non ? Je ne sais pas ce qui se passera quand tu retourneras dans ta caserne, et je n’ai pas envie d’y penser pour l’instant…
Camille fixait la route, droit devant elle.
— Moi non plus.
Ils arrivèrent à proximité du jardin du Luxembourg. Nicolas Bellanger fit un tour dans la rue Saint-Jacques et bifurqua dans la petite rue Royer-Collard. Il pointa discrètement le doigt vers la terrasse bondée d’un café, qui faisait l’angle entre Saint-Jacques et Royer-Collard.
— Lucie est là-bas, sur la droite.
Camille la repéra. La lieutenant de police était en mode touriste. Elle portait une tunique bleue, avait noué ses cheveux blonds en queue-de-cheval et sirotait une boisson. Elle les suivit quelques secondes du regard. La 206 continua sa route et arriva au niveau du club. Façade discrète plantée entre un institut de massage et un restaurant chinois. Un videur se tenait devant la porte, bras croisés. Quelques ombres marchaient dans la rue sombre, sans éclairage hormis ceux des cafés et autres clubs privés.
— C’est là, fit-il en poursuivant sa route. Il y a des catacombes dans le coin, mais les différentes entrées bien connues sont fermées au public, ce qui n’empêche pas les cataphiles d’y descendre en douce. Ceux de L’Olympe doivent avoir trouvé un moyen d’y accéder par leurs propres sous-sols ou d’autres endroits méconnus.
Maintenant qu’elle y était presque, Camille sentait la pression monter. Le cœur battait fort, lourdement. La jeune femme essaya de se détendre. Nicolas Bellanger se gara quatre cents mètres plus loin, à proximité de l’hôtel nommé Les jardins du Luxembourg. Il se tourna vers Camille dont la montre sonnait. Elle sortit le semainier de sa poche et avala son cachet.
— 23 heures. On y est. Un petit cacheton avant de descendre là-dessous.
Nicolas la regarda faire, avant de poursuivre :
— Tu sais où on sera placés si tu sors tard. Lucie en bout de rue, et moi au début. On ne peut pas se louper.
Camille posa son téléphone portable dans la main du capitaine de police et le força à rabattre ses doigts dessus.
— S’il m’arrive quelque chose, tu as tout là-dedans. Ma famille, mes quelques amis.
— Camille…
— Et puis, pas de réseau sous terre, comme tu dis. Ah, et si tu vois que Boris, mon collègue, appelle, évite de répondre s’il te plaît… Et maintenant, j’ai besoin d’une clope.
Bellanger en sortit deux de son paquet et les alluma. Camille avala cette fois la fumée sans problème. Après la première bouffée, elle se sentit bien. Elle se regarda dans le miroir du pare-soleil, se touchant le bout des lèvres.
— Je ne me suis jamais vue comme ça, admit-elle. Du maquillage rouge sang… ces habits… Jamais je n’aurais osé, avant. Ce n’est pas mon style.
— T’avais bien ces fringues dans tes valises pourtant, non ?
— Tu parles, j’ai tout acheté au premier magasin venu après que tu m’as déposée dans l’après-midi. Sans hésitation. Regarde, je fume. Je suis en train de changer. Je crois que c’est lui qui…
Bellanger ne la laissa pas terminer. Il se pencha vers elle et l’embrassa sur les lèvres.
— C’est contagieux, ton truc, parce que j’ai l’impression que moi aussi, je suis en train de changer.
Camille lui sourit.
— Et il n’y a pas de vaccin contre ça, on dirait. On se retrouve tout à l’heure.
Elle n’avait jamais senti le cœur de Loiseau battre aussi fort.
— Fais bien attention.
Dix secondes plus tard, elle avait disparu à l’angle de la rue.