Mardi 21 août 2012
La maison de Camille Pradier avait presque intégralement brûlé.
En ce mardi matin, Lucie évoluait sur un tas de cendres qui était quelques heures plus tôt la salle à manger. Au-dessus d’elle, elle pouvait apercevoir le ciel bleu et, sur le côté, Nicolas Bellanger qui allait et venait dans le jardin, téléphone portable collé à l’oreille.
Les équipes de la police scientifique, département Explosifs et incendie, venaient de passer l’endroit au peigne fin, accompagnés de chiens entraînés à renifler les traces de produits accélérateurs. Ils avaient trouvé les restes calcinés d’un bidon d’alcool à brûler. D’après leurs analyses, il y avait eu plusieurs départs de feu, ce qui correspondait à ce que Lucie avait vu en pénétrant dans la maison en flammes : Camille Pradier avait embrasé des bûches un peu partout avant de prendre la fuite.
Où cherchait-il à se rendre avant son accident de la route ? Où se trouvait « leur » Camille ? Questions qui tournaient en boucle dans la tête de Lucie, et elle cherchait des éléments de réponse dans la maison. Elle osa une descente à la cave, dans ce morceau de ténèbres où Pradier se livrait à ses horribles activités. Elle avait l’impression de marcher dans de la neige grise. Tout avait fondu, s’était désintégré sous l’effet de la chaleur. Juste des cendres, de l’acier rétracté, du béton noirâtre.
Ils ne trouveraient rien dans cette baraque. Aucun indice, nul élément indiquant où se trouvait Camille Thibault.
Et les aiguilles du temps qui tournaient, tournaient.
Nicolas Bellanger l’attendait à l’extérieur, le visage grave. Robillard et Levallois étaient restés dans l’open space, au 36, l’un occupé à gérer la paperasse et à mettre au carré les différents rapports et procès-verbaux comme l’avait exigé leur divisionnaire, et l’autre à faire des recherches sur les vols d’yeux ou les expériences sur les corps humains dans les pays de l’Est.
Le capitaine de police raccrocha enfin et se massa les tempes.
— Je viens d’avoir l’hôpital. Il est mort, Lucie. Pradier est mort dans la nuit.
La lieutenant de police accusa le coup.
— C’est pas possible.
Bellanger ne cachait même plus son abattement.
— Rien de neuf de ton côté, je suppose ?
— Le néant.
— Et Franck ?
Lucie secoua la tête, les lèvres pincées.
— Toujours rien. La dernière fois que je l’ai eu, il partait pour un hôpital psychiatrique du côté de Corrientes, je ne suis plus où, Torres quelque chose. Depuis, rien. Pas un appel, pas un SMS. Je commence vraiment à m’inquiéter.
Lucie s’attendait à ce que Nicolas lui balance un truc du genre « Franck est un dur à cuire, ça va aller », ou alors « Son téléphone est peut-être déchargé », mais il ne s’engagea pas sur cette voie et préféra changer de sujet :
— J’ai obtenu quelques infos venant de la voiture accidentée de ce Pradier. Les pompiers ont bien essayé de récupérer le GPS dans l’habitacle de sa voiture, mais le choc frontal l’a réduit en miettes. En revanche, dans la boîte à gants, ils ont récupéré une liasse de facturettes d’essence. Tu les auras scannées et sur ton mail en rentrant au 36. Je voudrais que tu y jettes un œil en priorité. On doit tout exploiter, décortiquer la vie de ce monstre, comprendre comment il fonctionnait.
Lucie le fixa dans les yeux.
— Tu me fais confiance, alors ?
— Toi, Jacques et Pascal n’avez pas hésité à me suivre, même si vous saviez qu’on n’était pas réglos. Et puis… Tu m’as sauvé la vie. Et je n’ai même pas eu l’occasion de te remercier.
— Ça va, répliqua Lucie.
Nicolas afficha un pâle sourire.
— Je crois que… plus rien ne va dans ma tête. (Il soupira, réfléchit.) Ah oui, concernant notre petit squelette, j’ai enfin eu les retours ADN qui confirment nos hypothèses. Ce bébé est bien le fils biologique de Jean-Michel et d’Hélène Florès. C’est lui qui est né à Lariboisière le 8 octobre 1970.
— Et mort quelques jours plus tard, le crâne en bouillie…
— Oui, Mickaël Florès, continuons à l’appeler comme ça, était un bébé de substitution volé en Espagne pour cacher un drame, un secret que Jean-Michel Florès a traîné une bonne partie de sa vie.
Il fit un mouvement de tête en direction de sa voiture.
— Allez, pour égayer le tout, on file au labo de Pradier jeter un œil aux corps. J’ai appelé Alban Couture pour lui demander de sortir les morts de leur cuve et, apparemment, il a du lourd à nous annoncer.