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Au fond de la carrière de Saint-Léger-aux-Bois, le vérin hydraulique fit enfin sauter le verrou de la grille.

Les quatre hommes de la BAC s’engagèrent dans l’escalier et grimpèrent en rythme, suivis par Bellanger, Levallois et Sharko. Couinement des chaussures d’intervention en Gore-Tex, feulement des protections en polypropilène, respirations courtes. Il devait y avoir une cinquantaine de marches très raides. Le tunnel était étroit, en forme de demi-lune, ne permettant pas le passage de deux hommes de front.

Après un plat de quelques mètres, les équipes de police tombèrent sur une autre porte couverte d’isolant phonique. Le câble électrique relié à la caméra traversait la roche à cet endroit et disparaissait de l’autre côté.

— Attention.

Nouveau travail du vérin. Les flics de la BAC tenaient leurs fusils à pompe à deux mains, prêts à les braquer au moindre mouvement. Craquement du bois, raclement de métal. Le verrou céda. Les hommes poussèrent la porte, ils durent forcer, comme si quelque chose de lourd en gênait l’ouverture. Après quelques coups d’épaule, il y eut un fracas de l’autre côté.

Ils se trouvaient à présent dans une petite pièce confinée, tout en béton, dans laquelle était entreposé un fourbi innommable : du matériel de jardin, des barres en fer, de vieux meubles, de l’essence… Le tunnel d’où ils sortaient avait été camouflé par une lourde armoire, des planches et de l’isolant. Sharko songea immédiatement à une planque à la Marc Dutroux, le pédophile belge : un accès protégé, secret, où se passaient sans doute les pires horreurs. Par transfert, il pensa à Jules et Adrien, à leur innocence, et se sentit immédiatement mal à l’aise. Ces pensées intruses, hors contexte, le parasitaient de plus en plus.

— On est maintenant dans un vieux bunker, murmura Bellanger.

La lumière qui tombait en oblique par une trouée dans le plafond indiquait qu’ils étaient à la surface. Il y avait un petit compteur électrique, qui devait alimenter une prise et l’ampoule du local. Un autre câble arrivait discrètement sur le tableau de fusibles, par-derrière. Sans doute celui relié aux lumières du souterrain et à la caméra.

Une fois la porte du bunker défoncée, ils se retrouvèrent au fond d’un jardin à l’orée de la forêt. Le soleil pesait de tout son poids. L’herbe poussait en pagaille et jaunissait par endroits. Face à eux, à trente mètres environ, une petite maison individuelle à étage, en brique et aux volets fermés. Des tuiles avaient été arrachées par la tempête et jonchaient le sol. La première habitation voisine était à peine visible dans un renfoncement d’arbres, à une vingtaine de mètres. Plus loin, le clocher d’une église pointait dans le ciel bleu.

Les hommes progressèrent, dos courbé, jusqu’à la maison. Pas de voiture dans l’allée de la propriété. Répartis de part et d’autre de l’entrée, deux policiers de la BAC firent une sommation, tandis que deux autres surveillaient une seconde porte, à l’arrière.

Franck Sharko se tenait le long du mur, son Sig Sauer entre les mains, juste aux côtés de son chef. La sueur ruisselait dans sa nuque. La chaleur, l’adrénaline de l’intervention, les horreurs découvertes dans le souterrain… Sans compter ses petites nuits, rythmées par les appétits féroces de Jules et Adrien.

Il se rendit compte que ses doigts tremblaient sur son flingue, et son ventre n’était qu’une boule de plomb. Il avait ce genre de symptômes depuis la naissance des jumeaux, des sensations curieuses dès qu’il était en situation de stress. Comme s’il avait l’appréhension de la première intervention, avec cette peur abominable de recevoir une balle.

— Ça va, Franck ? murmura Bellanger. T’as l’air mal.

— La chaleur…

Une minute plus tard, les sept hommes pénétraient dans l’habitation. Les lieux furent rapidement sécurisés. Les pièces étaient vides, dépouillées. Pas de meubles dans le salon ni téléviseur, cuisine sans réfrigérateur, poubelle propre. Le grenier avait été balayé par les vents, trempé par la pluie. Un policier signala qu’il n’y avait rien à l’étage. À l’évidence, plus personne n’habitait cette maison.

— Bon, on ne fouille pas davantage, fit Bellanger. On va laisser la Scientifique agir, dans un premier temps.

Sharko ressortit, son portable vibrait. Un SMS. Lucie venait aux nouvelles, comme presque chaque fois qu’il était sur une affaire.

La visite s’est bien passée, mais je n’en sais pas plus, comme d’hab. On verra. Sinon, c’était si sérieux que ça, l’appel de Bellanger ? Dis-moi. Jules ronfle comme un ange et je crois qu’Adrien te réclame déjà.

Un smiley accompagnait le texte.

Sharko soupira. Avec tous ces SMS qu’elle envoyait, Lucie essayait de vivre les enquêtes par procuration et dès qu’il rentrait, elle fourrait son nez dans ses affaires. Le lieutenant la savait à la fois heureuse de s’occuper des jumeaux mais malheureuse d’être bloquée à la maison, alors que lui partait au charbon.

Il composa sa réponse :

Tout va bien. Je te raconte ce soir. Poutou poutou et bisou bisou. Shark

Après l’envoi, son visage redevint sombre. Rien n’allait bien, au contraire. Sa curieuse crise d’angoisse tout d’abord, que Bellanger avait remarquée. Et puis, Sharko savait que dès son retour à l’appartement Lucie chercherait à savoir, à s’impliquer d’une manière ou d’une autre dans l’enquête. Elle n’arrivait pas à faire autrement. Au fond de lui-même, il eut l’intime conviction qu’elle ne tiendrait pas quinze jours supplémentaires avant de reprendre.

Une voix, derrière lui. C’était Nicolas Bellanger qui le rejoignait.

— Je viens juste d’appeler la mairie de Saint-Léger, fit-il.

— Alors ?

Il se dirigea vers la rue.

— On récupère nos voitures et on va chez le propriétaire de la baraque. Un certain Gilles Lebrun, il habite à l’autre bout du village. D’après le type de la mairie, il a hérité de cette turne qui appartenait à son père, et apparemment il la louait.

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