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Nicolas Bellanger était angoissé comme avant une intervention risquée.

Juste avant de pénétrer dans le restaurant de l’hôtel, il prit une grande inspiration. Son cœur battait la chamade, et le flic eut l’impression que la salle entière pouvait l’entendre.

C’était la première fois qu’il se laissait aller à un tel coup de tête : attraper un avion et dîner avec celle qui lui retournait le cerveau. Peut-être faisait-il la plus grosse bêtise de sa vie, peut-être n’était-ce pas le moment — le divisionnaire Lamordier frôlait l’hystérie —, mais Nicolas avait suivi ses pulsions. Besoin de changer d’air, aussi, ne serait-ce que quelques heures. Après tout, il aurait dû être en congé. L’administration française lui devait au moins ça.

Camille se tenait à une petite table ronde, dans un coin calme entouré de plantes. Elle portait une tenue d’été légère aux couleurs vives et s’était maquillée. Le mascara soulignait l’intensité de son regard, le rouge à lèvres, rose clair, donnait envie de l’embrasser. Nicolas s’approcha et lui tendit un petit paquet cadeau. Il s’était habillé de façon simple mais classe, avec une chemise blanche à col pelle à tarte, premier bouton défait, et un pantalon en flanelle gris clair tombant élégamment sur des chaussures bateau.

— J’espère que ça te plaira.

— Fallait pas. Merci.

Ils se tutoyèrent naturellement. Elle le regarda avec intensité lorsqu’il s’assit.

— C’est complètement improbable, ce rendez-vous, tu ne trouves pas ?

— Oui, mais à ce que j’ai cru comprendre, tu aimes bien ce qui est improbable, non ?

Camille déballa son cadeau. Un sourire illumina son visage. Elle prit délicatement le livre à deux mains, il passa dans ses yeux un brin de nostalgie, un relent de vieux souvenirs d’enfance.

L’Aiguille creuse, commenta Nicolas. Édition originale Pierre Lafitte de 1909 sur papier courant, couverture rouge illustrée.

— T’es encore plus fou que je le croyais.

Elle hésita, puis secoua la tête, avant de lui tendre l’ouvrage.

— Je ne peux pas.

— Garde-le. Ça me fait plaisir. Je n’ai jamais eu personne à qui l’offrir.

Camille finit par accepter.

— Je lisais tout le temps, gamine, confia-t-elle. Des livres scientifiques sur le corps humain mais aussi ce genre de romans d’aventures et des polars. C’était mon moyen à moi de m’évader, de voyager. Un jour, j’ai vendu la plupart de mes livres à une brocante, il y en avait trop. Mais j’aurais dû les garder. Ils étaient comme des petits morceaux de ma vie. Des bouts de moi.

Elle inclina la tête, pensive.

— Tout le monde a un souvenir qui se rapporte à un livre. Et quand on rouvre le livre, plus tard, quand on sent à nouveau l’odeur de ses pages, quand on voit les marques du chocolat qu’on croquait à l’époque incrustées sur ses pages, alors le souvenir revient, très net.

Nicolas approuva.

— Mes parents étaient libraires, ils tenaient une boutique dans une petite rue de Paris, pas loin du boulevard des Italiens, expliqua-t-il. C’était du bonheur, parce que je n’avais pas de problème de stockage. Et j’avais à disposition tous les livres que je voulais.

— J’ai toujours imaginé les flics du 36 issus de familles de flics.

— Faut croire que, comme toi, je suis en dehors des statistiques.

— Et comment on passe des livres au flingue ? Des mots sur du papier à la balle Parabellum neuf millimètres ? Comment t’es devenu capitaine de police dans un des services les plus prestigieux de France ?

— Quand ma mère est tombée malade, mon père a revendu la boutique, il a refusé que je la reprenne, trop de boulot, de contraintes, de galères. Il est parti vivre en Bretagne. Moi, j’avais tout juste vingt-trois ans, je venais de m’engager dans la police pour suivre un copain dans un petit commissariat de banlieue. J’ai aimé ce métier tout de suite. L’adrénaline, la diversité des opérations, ce truc inexplicable qui te prend aux tripes quand tu dois interpeller un individu. Je me suis passionné pour l’enquête criminelle. Et pour le reste, j’ai bossé, tout simplement.

Ses yeux s’évadèrent, un temps. Camille sentit qu’il avait du mal à parler de son passé. Qu’il avait un poids au fond de l’estomac. Le serveur les tira de l’embarras. Ils commandèrent un apéritif.

— Dire que je partais en vacances sur Argelès chez mes parents, raconta Camille, et je me retrouve dans un hôtel de Valence, à dîner avec un capitaine de police que je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam il y a encore deux jours. À l’heure qu’il est, je devrais être en compagnie de mon père et de ma mère.

Elle mit une main sur sa poitrine.

— À cause de lui, tout part en vrille. Je le hais à un point que tu ne peux imaginer et, pourtant, il fait partie de moi. Il m’offre chaque goulée d’air que je respire. Je voudrais l’arracher de ma poitrine, le presser entre mes mains et lui demander : « Pourquoi tu as fait ça ? Pourquoi tu as fait tout ce mal à ces filles ? »

Elle eut le regard vide, longtemps, et songea avec amertume à ses malaises. Quand viendrait la prochaine crise ? Quand tomberait-elle sans pouvoir se relever ? Elle tourna la tête vers Bellanger et, ne sachant plus quoi dire, demanda :

— Sinon, la journée, l’enquête ? Ça avance ?

Le capitaine de police se frotta le visage et soupira.

— Ça avance, oui… On va oublier tous les points négatifs et ne parler que du positif. Lucie et Pascal ont bien avancé avec le listing du CHR. Lucie a ciblé autour de dix employés, Robillard est plus sceptique mais, en élargissant au maximum, ils ont vingt-neuf suspects potentiels. L’un d’entre eux est fiché, suite à une bagarre. On a de quoi fouiner à présent, dès qu’on a les papiers officiels lundi. On devrait peut-être reporter ta descente au Styx et…

— Le Marché Interdit ne se déroule que le dimanche soir, si on le manque il faudra attendre une semaine supplémentaire. N’essaie pas de me convaincre de faire demi-tour. Je suis prête, pour demain.

On leur apporta deux cocktails aux couleurs d’un coucher de soleil. Ils trinquèrent.

— Au grand choc frontal de nos deux destins, sourit Bellanger.

Camille lui rendit son sourire.

— À nos trajectoires perforées par l’Aiguille creuse, oui.

Elle aspira un grand coup avec sa paille. Ça aurait dû être l’un des plus beaux moments de sa vie : ces picotements agréables qu’elle ressentait au fond du ventre, l’impression de tomber amoureuse, déjà, comme si tout se passait en accéléré. Camille savait qu’elle aurait dû contrôler, garder de la distance comme elle l’avait fait avec Boris, mais, cette fois, elle s’en sentait incapable.

Nicolas la sortit de ses pensées.

— Lesly Beccaro a été très coopérative, elle nous a envoyé un tas de mails et on a passé du temps au téléphone avec elle. Elle n’a rien caché, a priori. Un de nos spécialistes en informatique planche sur les forums privés, c’est difficile d’avoir de l’information, des noms dans l’immédiat. Ça va prendre du temps de s’immiscer dans leur cercle par la voie Internet.

— Et le temps, c’est ce qui nous manque.

— Oui. Pour en revenir à Beccaro, elle a développé depuis des années une obsession pour Gerard Schaefer, fétichiste, sadique, nécrophile…

— Un bon petit gars qui rassemble à lui seul toutes les perversions, on dirait.

— Tu vas devoir potasser sur lui avant le Styx, pour te mettre dans le bain. Je t’ai rapporté quelques livres. On va dire que, à partir de ce soir, c’est ta personnalité préférée.

— Ce sera toujours mieux que Justin Bieber.

— Tu sais que ce taré se photographiait sous tous les angles à l’aide un retardateur, avec son slip baissé aux chevilles en feignant d’être attaché à un arbre ? continua-t-il. Sharko m’a dit qu’on donnerait le bon Dieu sans confessions à cette Lesly Beccaro. Je ne comprends pas comment elle a pu en arriver là.

Camille serra son verre de ses deux grandes mains.

— Il n’y a rien à comprendre, et c’est certainement un brin de conscience qui l’a fait renoncer à descendre là-dessous au dernier moment. Les gens aiment flirter avec l’interdit, sortir des rails d’une société qui les étouffe. Avec mon métier, j’ai déjà vu des gens s’approcher d’une scène de crime, rien que pour voir ce qui n’est pas regardable… Et puis, regarde ce bouquin, là, Cinquante Nuances de Grey qui paraît bientôt. Un vrai phénomène partout dans le monde, déjà premier sur tous les sites de ventes en ligne. Et qu’est-ce que ça raconte au final, hein ? Une histoire de dominant/dominé. Du cul, du SM, de la transgression. Les Lesly Beccaro sont plus nombreux qu’on ne le croie. Il n’y a qu’à regarder ce qui est le plus présent sur Internet.

— Le sexe, encore et toujours.

— Le sexe, le pouvoir, l’argent. Réunis tout ça dans un seul homme, et tu en fais un prédateur redoutable. C’est peut-être à ce genre d’individus qu’on est confrontés en ce moment.

Un serveur vint prendre la commande. Nicolas opta pour une escalope d’espadon, tandis que Camille choisit une paella. Elle aspira bruyamment le fond de son cocktail. La tête lui tournait un peu, déjà. Mais elle aimait cet état nouveau de semi-conscience provoqué par l’alcool.

On leur apporta les plats, ils dînèrent, burent un peu de vin espagnol, Nicolas embraya sur le sujet délicat des conquêtes amoureuses, auquel Camille coupa court : elle n’avait pas envie d’en parler, et Nicolas comprit qu’il ne fallait pas insister.

Tandis qu’elle mangeait, sa main caressait sa gorge, doucement, palpait, cherchait le pouls. Et elle ne s’en rendait même pas compte. Nicolas toucha sa propre carotide, sentit la force de son cœur.

— Tu risques de trouver ça dingue, mais je n’ai jamais dit à personne que je voudrais donner mes organes en cas de… d’accident, confia-t-il. Nous les flics, on a des métiers à risques, ce serait important d’en parler entre nous, à notre famille. Clairement exposer notre position face au don d’organes.

— C’est ça le problème, répliqua Camille. On n’en parle pas. Plus de la moitié des organes que l’on pourrait greffer ne le sont pas à cause du manque de communication. La moitié, tu te rends compte ? Des reins, des cœurs, des foies en parfait état de fonctionnement. C’est la vie qu’on gaspille. Un donneur peut sauver jusqu’à cinq ou six personnes si ses organes sont bien distribués.

— Je crois que ce n’est pas le don qui fait peur, mais c’est d’envisager la mort. Elle est tabou, les gens n’aiment pas en parler. Et puis, ils imaginent qu’on charcute les corps, qu’on dépouille l’être aimé.

— Tu sais, quand on interroge les gens, la plupart seraient prêts à donner leurs organes. C’est un acte tellement magique, un don de soi par-delà la mort, une continuité de la vie. Quand tu leur demandes s’ils donneraient leur accord pour qu’on prélève ceux de leur époux ou épouse, ils accepteraient encore, mais ce serait beaucoup plus dur, il y a comme un sentiment de profanation inexplicable, une peur de déranger le défunt, de le souiller. Mais quand tu passes à la question des enfants, il y a un véritable blocage. Ils refusent presque systématiquement.

— Or, nous sommes tous les enfants de quelqu’un…

— Exactement, c’est ce qui crée le problème. Pourtant, les parents qui refusent de donner les organes d’un fils décédé en condamnent un autre à la mort. Culpabiliser les gens n’est pas la solution, mais la réalité est ainsi. Brute, cruelle.

Elle suivit de l’index le bord de son verre, en récolta le sucre et le déposa sur sa langue. Elle se rendit compte de son geste et reposa sa main à plat sur la table.

— Pour en terminer avec ce sujet ultra gai, je vais te faire part d’une anecdote véridique que m’a racontée un médecin coordinateur des greffes et qui, je crois, résume tout le problème. Un jour, un homme de quarante-trois ans meurt d’un accident de moto. Sa femme ne s’oppose pas au don d’organes, heureusement ils en avaient parlé et c’était ce que son mari souhaitait. Le cœur part sur un jeune homme de trente-trois ans, célibataire, qui, sans cet organe arrivé in extremis, serait mort dans la semaine…

Camille avait le don de fasciner. Nicolas l’écoutait sans bouger.

— … Ce chanceux se remet de sa greffe, tout se passe pour le mieux, il mène à nouveau une existence normale, profite de la vie à fond. Mais, terrible coup du sort, il meurt d’une rupture d’anévrisme deux ans plus tard, à une pompe à essence. (Elle claqua des doigts.) Comme ça.

Nicolas plissa les lèvres.

— C’est qu’il devait probablement mourir, fit-il. Rattrapé par son destin.

— Comment ne pas se faire cette réflexion, en effet ? Rattrapé par son destin, oui… Bref, son cerveau meurt, mais pas ses organes. Le cœur pourrait de nouveau être greffé, et permettre à une autre personne de vivre. Tu imagines le destin de… ce cœur ? Mais là, devine ?

— Les parents refusent de donner les organes de leur fils ?

— Tu as vu juste. Mais peut-on leur en vouloir pour autant ? On touche là à toute la complexité du don d’organes, de l’éthique, tout ce que tu veux. J’ai même entendu, récemment, qu’un mari qui avait donné l’un de ses reins à sa femme a voulu le reprendre lorsqu’ils ont divorcé.

Nicolas ne put se retenir d’exploser de rire. Il glissa sa serviette devant ses lèvres, gêné, mais sa poitrine continuait néanmoins à tressauter.

— Excuse-moi. Je sais que le sujet est grave mais…

Il rit de plus belle. Ça le prenait tout au bas du ventre, et il n’y pouvait rien. Ses yeux s’humidifièrent un peu.

— C’est bon ça, le coup du mec divorcé qui veut reprendre son rein en même temps que la machine à café !

Il avait le rire communicatif, et Camille fut prise au piège, elle aussi. Elle se laissa aller avec délice, se fichant des gens qui se tournaient dans leur direction. Ils étaient deux, rien que tous les deux, et ils se sentaient bien, libres, le reste importait peu.

Le fou rire finit par passer, ils discutèrent encore un moment devant un thé (Camille y ajouta une quantité démentielle de sucre) de sujets graves, et d’autres plus légers.

La salle s’était vidée, l’ambiance était devenue tamisée. Une musique douce s’échappait du bar, où ils prirent un dernier verre. Puis, au fil de la nuit qui avançait, les mots se firent plus rares, laissant davantage place à des sourires, des regards, jusqu’à ce que Nicolas se penche vers elle et l’embrasse avec douceur.

Il se recula, gêné.

— Excuse-moi, mais j’en avais terriblement envie. Si tu crois que ça va trop vite…

Camille se pencha vers lui, ils s’embrassèrent encore.

— J’ai besoin que tout aille vite, justement, confia-t-elle. Et puis t’es ici, à deux mille kilomètres de chez toi, ce n’est pas juste pour manger une escalope d’espadon… (Elle posa une main sur son cœur.) Si t’es prêt à faire ménage à trois.

Lorsqu’ils arrivèrent dans la chambre, Camille le plaqua contre le mur et le dévora de baisers. Elle fut surprise de ses propres gestes, de ses pulsions, et décida de ne plus penser à rien. Juste de se laisser embarquer par ses sens plutôt que de se projeter au lendemain. Elle lui ouvrit la chemise, il voulut soulever sa tunique mais elle lui bloqua la main.

— Non.

Camille le poussa sur le lit, il se laissa faire quand elle ôta d’un geste sec son pantalon. Elle fondit sur lui, se frotta à lui. Nicolas commençait à haleter, voulait la déshabiller, mais elle le repoussait chaque fois. Elle se releva, tira les rideaux occultants et éteignit la lumière.

Elle revint à tâtons vers le bout du lit, abandonnant ses vêtements derrière elle.

Ce fut nue qu’elle le chevaucha en lui tournant le dos. Nicolas ferma les yeux, se laissa porter par le mouvement de va-et-vient qu’elle imprimait avec rythme. Les décharges l’arrachaient du lit, l’emmenaient à la limite de la jouissance, comme autant de vagues violentes. Il se redressa, plaqua sa joue trempée de sueur contre le dos de son amante, profita qu’un orgasme brise les défenses pour glisser ses mains sur les seins en pointe. Instantanément, il sentit une pression sur chacun de ses poignets.

— Non !

Il résista, elle le repoussa sur le lit et se tourna vers lui. Elle lui maintint les mains derrière la tête, l’écrasant de tout son poids. C’était devenu un combat, une lutte pour le plaisir. Leurs poitrines se levaient en même temps, leurs souffles se mêlaient. Nicolas sentit les rugosités des cicatrices lorsqu’elle se plaqua contre lui. C’était râpeux et doux à la fois, étrange et mystérieux. Dans un sursaut de plaisir, Camille rejeta la tête en arrière et vit un tas d’images défiler sous son crâne, comme dans un rêve éveillé. Des rondes d’enfants, des manèges qui tournaient, du sable soufflé par le vent. Des filles au crâne rasé qui hurlaient.

Le cœur tambourinait contre ses côtes, assourdissant, se débattant comme un diable en elle. Elle pleura et rit en même temps, heureuse, malheureuse, alors que Nicolas jouissait en elle, plantant ses doigts dans son dos. Camille se laissa choir sur le matelas, à ses côtés, essoufflée, à plat ventre.

Nicolas bascula vers elle et lui caressa tendrement la nuque.

— J’aurais aimé te voir, murmura-t-il.

— C’est impossible.

— Impossible ? Pourquoi ? C’est aux cicatrices de tes opérations que tu penses ? Ce n’est rien. Elles font partie de toi, tu ne dois pas en avoir honte.

Il parlait avec une voix douce, rassurante. Camille avait envie de se serrer contre lui mais elle se retenait. Elle avait trop peur de tomber amoureuse. Elle avait déjà tellement la frousse de mourir.

Elle se redressa, puisa au hasard dans la pile de vêtements et enfila un maillot de corps. Puis elle alluma la lumière avant de s’asseoir au bord du lit. Elle poussa la flèche du métronome, qui se mit à se balancer, déclenchant le tic-tac régulier.

— Vaut mieux que tu ailles dans ta chambre, maintenant…

— Pourquoi ?

— C’est préférable.

— Tu en es bien certaine ?

— Je suis désolée, Nicolas, mais je préfère rester seule. On se verra demain matin.

Nicolas remarqua le mascara qui avait coulé sous ses yeux et le long de ses joues. Il voulut aller vers elle mais jugea qu’il valait peut-être mieux la laisser tranquille.

— C’est comme tu veux. En tout cas, j’espère que je n’ai rien fait de mal.

— Non, Nicolas. Ne pense surtout pas ça. J’ai passé… un moment merveilleux. Et c’est génial que tu sois venu me rejoindre. Vraiment génial.

Camille avait envie de tout lui dire. Lui avouer qu’elle allait mourir, qu’il n’y avait presque plus d’espoir. Qu’un jour, elle tomberait et ne se relèverait plus jamais. Mais elle n’en eut pas le courage, ni la force.

Nicolas se rhabilla en fixant le métronome, embrassa Camille une dernière fois et ajouta, juste avant de sortir :

— Je ne pourrai jamais savoir ce qu’il y a dans ton cœur, ce que tu ressens. Parce qu’on ne peut pas lire dans le cœur des autres. Mais… Je peux lire ce qu’il y a dans le mien.

Il baissa les yeux, les releva.

— Je ne suis jamais tombé amoureux. Mais si ça devait m’arriver, là, maintenant, j’aimerais bien que ce soit avec quelqu’un comme toi.

Sans attendre de réponse, il ferma la porte derrière lui.

Camille serra le roman de Maurice Leblanc contre sa poitrine et eut l’impression qu’une aiguille creuse venait de lui transpercer le cœur.

Elle explosa en sanglots.

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