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Lucie roulait pied au plancher.

Elle doublait dangereusement, klaxonnait, grillait les priorités. Les vitres étaient baissées au maximum pour dissiper l’odeur de formol qui imprégnait encore ses vêtements. Elle tenta de joindre son chef au téléphone, raccrocha, réessaya, s’acharna. Elle était au bord des larmes.

Tout était sa faute.

D’abord Camille, et maintenant Nicolas.

Elle bifurqua vers la route communale. Ses signaux se mirent en alerte lorsqu’elle aperçut, au loin, un panache de fumée noire qui s’élevait dans le ciel.

Le moteur hurlait, elle poussait les rapports à fond. En moins de deux minutes, la voiture s’engageait dans l’allée de la propriété. La fumée sortait par la cheminée et la fenêtre avant, grande ouverte. Lucie vit des flammes se déployer, mais la maison n’était pas encore complètement embrasée. Elle donna un grand coup de frein et sortit en catastrophe, le flingue dans la main.

Il n’y avait aucun autre véhicule.

Elle eut quelques secondes d’hésitation, puis se dirigea vers le coffre. Elle prit une des couvertures des bébés, qu’elle roula en boule, et appela les pompiers. On la mit en attente, elle raccrocha et se rua vers la porte d’entrée. Fermée à clé. Sans hésiter, elle tira deux balles dans le verrou et donna un coup d’épaule.

Un flux de chaleur lui frappa le visage.

Elle s’enroula dans la couverture, en plaqua une partie devant son nez et entra.

— Nicolas !

Elle prit sur la gauche, regarda rapidement vers le salon. Des fresques grises commençaient à glisser sur le plafond, s’accumulant tels de gros nuages orageux. Lucie savait que ce qui tuait en premier, ce n’était pas les flammes mais l’intoxication provoquée par les fumées d’incendie.

Tout en appelant, elle courait dans chaque pièce. Des foyers partaient de tous les côtés. D’ici quelques minutes, cette maison se transformerait en un gigantesque brasier.

Elle tomba sur la porte de la cave percée d’impacts de balle. Les projectiles avaient fini leur trajectoire dans le mur du couloir. Une partie du bois avait cédé, mais la porte n’avait jamais pu être ouverte. Nicolas Bellanger se trouvait à coup sûr à l’intérieur, il avait dû essayer de sortir, en vain.

— Nicolas !

Pas de réponse. Elle tourna le verrou et ouvrit. Les marches, devant elle, avaient noirci, comme brûlées. Au fond de l’obscurité, de la lumière mouvante, rougeâtre. Lucie descendit aussi vite que possible. Son pied tapa dans une bûche embrasée. Les cendres brûlantes grignotèrent les dalles en bois qui ne tarderaient pas à prendre feu.

Le corps de Bellanger gisait au sol tandis que, en face, un pan en polystyrène flambait.

La planche d’une étagère céda.

Lucie souleva avec difficulté le corps inerte de son chef et le traîna. Elle souffrait, s’essoufflait, la fumée la prenait à la gorge, attaquait ses muqueuses. Le feu avait forci, des bandes de flammes se déployaient, les rideaux se transformaient en confettis noirâtres. Elle crut bien ne jamais réussir à tirer le corps dans l’escalier, mais l’urgence de la situation l’y aida. Elle regagna enfin l’extérieur et hissa Nicolas jusqu’à l’arrière de sa voiture.

Elle précipita son oreille contre la poitrine du capitaine de police.

Dieu merci, son cœur battait.

Lucie démarra et fonça pour la troisième fois vers ce maudit CHR.

Dix minutes plus tard, Nicolas Bellanger était admis aux urgences.

État stable.

Il allait vivre.

Seulement alors, Lucie se laissa choir sur une chaise et frôla l’évanouissement.

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