Camille mordait dans un sandwich, assise à la terrasse ombragée d’un café, quand son téléphone sonna.
Elle décrocha prestement, sur le qui-vive.
— Merci de me rappeler, Boris.
— Salut Camille. J’ai eu ton message. C’est quoi encore, ce délire ? Tu veux une immatriculation, maintenant ? Mais bon Dieu, t’es pas censée être sur la route des vacances ?
— Je le suis.
— Il n’y a pas beaucoup de bruits de moteur, autour de toi.
— Je déjeune au soleil, lunettes sur le nez, du côté de Fontainebleau. Ciel bleu, oiseaux qui chantent, le bonheur.
— Tu ne serais pas en train de te fourrer dans je ne sais quelle affaire ? Tes recherches sur mon ordinateur, le profil ADN, et cette demande à présent…
Camille soupira. Elle pensait encore au petit squelette, aux photos horribles dans le laboratoire, au sang dans la chambre de Florès.
— Écoute, je t’expliquerai tout ça, d’accord ? Je te demande juste les infos. Et si tu m’as rappelée, c’est que tu les as en ta possession… Je me trompe ?
Petit silence.
— T’es chiante, Camille, tu sais ça ?
— C’est ma marque de fabrique.
Camille devina qu’il souriait, l’imagina assis à son bureau, chaussures sur la table et canette de Coca Light dans la main.
— Bon… Le dernier titulaire de la carte grise correspondant à l’immat que tu m’as fournie s’appelle Dragomir Nikolic. J’ai fouillé un peu. Nationalité serbe, installé en France depuis 2003. Il est artisan dans le bâtiment, céramique, briqueterie, un métier prisé qui lui a permis d’obtenir une carte de séjour longue durée. Le type a déménagé six fois en dix ans. Pas mal, non ?
— Il a un casier ?
— Il devrait ?
— Boris…
— Non. Il a l’air propre.
Trop propre, justement, pensa Camille.
— T’as sa dernière adresse ?
— Je ne sais pas si…
— Tu sais parfaitement que je me débrouillerai pour me la procurer si je la veux vraiment.
Un soupir.
— Il crèche à Rouen depuis un an environ.
À sa demande, Boris lui dicta l’adresse.
— Merci Boris. Si tu peux m’envoyer toutes les infos par SMS, ce serait génial. Et me dire dans quelle société il bosse en ce moment.
— Je ne suis plus à ça près.
— Sinon, son adresse précédente, c’était où ?
— Colombes… C’est à côté d’Argenteuil, là où travaillait ton donneur, comme par hasard. Tu n’en as pas encore fini avec cette histoire ? Ce mec, Dragomir Nikolic, il a un rapport avec tes rêves ?
— Je vais devoir te laisser, Boris. T’es vraiment un chic type.
— C’est ça, défile-toi… T’es tellement dans ton délire que notre affaire du mont des Cats ne t’intéresse plus, je présume ?
Camille mit trois secondes à percuter. Elle avait complètement oublié.
— Ah, si, évidemment. Des nouvelles ?
— Tu m’étonnes. L’un des responsables de l’agence de biomédecine nous a rappelés une heure après avoir reçu le fax du juge. On a obtenu l’identité du greffé de peau et, donc, de notre assassin : Michel Lavigne, trente-sept ans. On a tapé à son domicile en milieu de matinée. Le type n’a opposé aucune résistance. Cramé au visage et sur une bonne partie du corps il y a un peu plus d’un an, pas vraiment beau à voir malgré la chirurgie réparatrice. Une sombre histoire de vengeance…
Silence au bout du fil.
— T’es toujours là, Camille ?
— Oui, oui, je t’écoute. Une vengeance, tu dis ?
— Arnaud Lebarre, notre victime étranglée, s’en était pris à Michel Lavigne sur Lille, l’été dernier, parce que Lavigne est homosexuel. À l’époque, Lebarre l’a entraîné de force dans une impasse avec un complice, l’a aspergé d’essence et lui a foutu le feu. Lavigne s’en est tiré de justesse, brûlé au troisième degré, mais l’affaire n’a jamais été résolue.
— Jusqu’à aujourd’hui…
— Par le plus grand des hasards, oui. Il y a une semaine, Lavigne retombe sur Lebarre en se promenant. Il le reconnaît… Poursuit son chemin, regagne sa voiture… Et remonte avec un extenseur pour se faire justice lui-même. Tu connais la suite. Il le chope par-derrière et l’étrangle. Lebarre lui griffe le visage avant de mourir étouffé. Et il récolte ainsi les deux ADN qui nous ont tant intrigués.
— C’est une histoire bien triste. Bravo en tout cas, Boris.
— Ouais, j’ai pas fait grand-chose.
— Et merci encore pour l’immatriculation. Comment va Brindille, au fait ?
— Elle se porte comme un charme et mange toutes ses croquettes. Mais j’ai quand même l’impression que tu lui manques.
Camille sourit.
— Embrasse-la pour moi. Je t’enverrai un petit mail très bientôt, j’ai encore quelques étranges requêtes. Et je te bipe dès que je suis arrivée à Argelès, OK ?
— On va dire ça, oui. Où que tu sois, fais bien attention à toi.
— Promis.
— Au fait Camille, un dernier truc… Pour le type de cigarettes retrouvées sur le siège passager dans l’affaire de la gamine du coffre, la petite Aurélie Carisi…
— Oui ?
— J’ai vérifié : c’étaient des Marlboro Light, paquet de quinze. Tes rêves, c’étaient donc des conneries.
Perturbée, Camille raccrocha et engloutit rapidement le reste de son sandwich.
Non, ça n’était pas des conneries. Loin de là.
Cinq minutes plus tard, elle avait disparu.
Direction Rouen.