« J’ai été très ému en te découvrant portant ton écharpe nouée. Merci de ton geste. Je suis tellement content que tu nous laisses une chance… J’ai failli te parler mais j’ai trop peur de briser ce qui n’est pas encore né. Je tiens à toi et je sais pourquoi. Mais tu ne me connais pas, tu ne m’as même pas remarqué. Nous avons encore du chemin à faire et j’espère que tu me feras confiance.
« Si tu es d’accord, je te donne rendez-vous samedi, à la gare. J’arriverai aux alentours de 18 heures. Je te propose de m’attendre devant le grand café, face aux quais. Mais j’insiste, tu n’es obligée de rien. Si tu es là, alors notre futur s’approche encore. Sinon, sois certaine que même à regret, je respecterai ton choix. J’espère sincèrement te voir. J’espère aussi t’embrasser en vrai très rapidement.
Émilie me rend la lettre et soupire, perplexe :
— Il y a du bon, c’est indéniable, mais je persiste à trouver sa méthode étrange. Un vrai jeu de piste. Soit il a encore quatre ans dans sa tête, soit il sait bougrement ce qu’il fait… Un psy ou un profileur de la criminelle aurait certainement beaucoup à tirer de ce joli texte.
— Je ne sais pas quoi en penser. J’ai relu cette feuille toute la nuit en déduisant de chaque phrase n’importe quoi et son contraire. Je passais de la panique absolue à quelque chose qui ressemble à de l’impatience. Moi, impatiente de voir un mec, tu te rends compte ? Heureusement, cela ne dure pas longtemps. Ce qui domine quand même, c’est la méfiance. Résultat, je suis dans un drôle d’état ! Mais le plus inquiétant, c’est que ce type est venu me déposer sa lettre au pied de MA porte ! Tu réalises ce que cela signifie ? Quelle est la prochaine étape ? Bientôt, je vais le voir surgir pendant que je prends ma douche ! Je flippe !
— C’est peut-être ton concierge qui a monté l’enveloppe…
— Non, je lui ai demandé ce matin. Et il n’a remarqué personne d’autre que les habitants de l’immeuble hier soir, entre 19 h 30 — heure de départ de Sandro et Kévin alors que la lettre n’y était pas — et 20 heures — heure du départ d’Alexandre, qui l’a trouvée.
— Quelqu’un de l’immeuble ?
— Justement, comme par hasard, ce matin, mon voisin, Romain Dussart, est parti en déplacement. M. Alfredo a cru comprendre qu’il rentrait ce week-end…
— Ce serait donc ton voisin ? Mais vous ne vous êtes vus qu’une seule fois.
— Peut-être un coup de foudre. Il a été charmant et m’a vraiment écoutée et regardée. Je me souviens très bien avoir remarqué qu’il se montrait très avenant. Mais il ne m’a jamais tutoyée, et je ne crois pas qu’il soit de ce genre-là.
— S’il est capable de t’écrire des lettres enflammées, il doit pouvoir te tutoyer et même te faire pire !
— Tu as raison, même si je refuse de savoir ce que tu entends par « me faire pire ». De toute façon, je suis toujours à côté de la plaque. Entre l’homme qui m’expulse et celui qui m’écrit des lettres à énigmes, je n’en peux plus. J’en ai assez d’être leur jouet. J’en ai ma claque de les subir. Je veux me poser, prendre le temps de décider ce que je veux pour moi, sans me faire avoir une fois de plus. Tu m’as tellement manqué hier soir, je suis certaine que si on avait parlé, j’aurais un peu dormi.
— Excuse-moi, mais après le cours de théâtre, un copain du club m’a invitée à dîner et je n’ai pas voulu refuser. Pour une fois que ce n’est pas moi qui prends l’initiative !
— Je ne t’en veux pas. Je sais que ce n’est pas facile pour toi non plus. Quand je pense au temps que nous prennent les hommes même quand ils brillent par leur absence… C’est fou tout ce qu’on fait pour eux alors qu’ils ne sont pas là. Comment s’est passé ton dîner ?
— Au début, j’ai cru à un signe du destin. C’est le seul homme du club que je n’avais pas encore approché. Le dernier du stock ! Autant te dire qu’on n’est plus dans le premium, mais vu ma situation, je n’ai pas intérêt à faire la fine bouche. J’ai donc croisé les doigts en le considérant comme ma dernière chance viable. Après lui, il ne reste que le prof, mais ce sera vraiment mon ultime option avant la fin du monde…
— Alors cette chance ? Viable ou pas ?
— C’est un peu comme pendant les soldes. Tu te dis que tu vas peut-être faire une bonne affaire mais en même temps, si ça ne s’est pas vendu avant, c’est qu’il y a sans doute un défaut quelque part. Et là, c’était le dernier du rayon… J’ai vérifié toutes les coutures ! Il est gentil mais je crois qu’il se cherche plus une copine ou une confidente qu’une femme. En l’écoutant, j’avais l’impression d’être revenue au lycée. « Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? », « Comment dois-je faire dans ce monde qui ne me comprend pas ? » À trente ans passés, il devrait commencer à entrevoir les réponses et savoir que ce n’est pas au monde de le comprendre ! Je n’ai pas envie de quelqu’un qui se cherche. J’aime les hommes qui savent ce qu’ils veulent. Je veux que mon mec m’embarque, qu’il me rassure !
— Bonne chance… Les seules fois où j’ai vu un homme décider sans hésiter, c’était Hugues, pour choisir les prochains jeux vidéo qu’il allait s’offrir… C’est quand même drôle, pendant que tu galérais avec le tien, moi je relisais sans cesse la lettre du mien… Magnifiques histoires d’amour !
— Pour en revenir à ta lettre, je la trouve plutôt bien tournée et assez touchante. Tu vas aller l’attendre à la gare, samedi ?
— Oui, pour deux raisons : la première, je veux savoir qui c’est, et la deuxième, je veux me rendre compte s’il est honnête. Tu as raison, ce qu’il écrit est gentil. S’il est sincère, alors peut-être que, cette fois, j’aurai de la chance…