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C’est fou comme le fait d’agir sans aucun compromis vis-à-vis de votre conscience vous aide à bien dormir. Je ne sais pas si c’est d’avoir tabassé Pépito à coups de planche ou de reprendre la main face à Deblais, mais j’ai ronflé comme un bébé. Paracétamol n’a même pas réussi à me réveiller comme il le fait tous les matins. Toute guillerette, je pars au travail.

— À tout à l’heure, grand félin, ta gamelle est remplie. Sois sage !

Je le caresse une dernière fois. Il miaule gentiment.

Oui, avec mon chat, on se parle. Nous avons même de grandes conversations. Évidemment, il ne maîtrise pas encore les compléments d’objet direct et l’imparfait du subjonctif, mais on se comprend. Je suis déjà impatiente de le retrouver ce soir pour lui raconter ma journée. On fera un câlin et on jouera. Je vais encore me ridiculiser si la NSA me surveille et me voit me jeter sous les meubles pour tenter d’attraper son bouchon avant lui. Je lui envoie un dernier bisou et je sors.

Les enfants du quatrième dévalent l’escalier en riant. Ils font la course et me doublent. Leur chahut résonne dans le hall. La voix de M. Alfredo aussi :

— Bonne journée, les enfants ! Travaillez bien à l’école ! Dites aussi à votre mère que j’ai un colis pour elle depuis deux jours !

— Entendu, monsieur Alfredo !

J’arrive au bas des marches, le concierge m’accueille :

— Ces petits diables débordent d’énergie. Ils sentent le printemps venir. C’est bien de leur âge ! Vous avez vous-même bien meilleure mine, mademoiselle Marie.

— C’est gentil. Mais vous aurez toujours plus d’énergie que nous tous réunis, monsieur Alfredo. Que serait cette maison sans vous ?

Il s’approche :

— Je suis confus. J’ai réalisé cette nuit que j’avais oublié de vous inviter. J’ai annoncé la date avant votre emménagement et j’ai oublié de vous prévenir ensuite.

— Une invitation ?

— Le dimanche 10, pour le déjeuner. J’espère que vous n’avez rien de prévu.

— De mémoire, je crois que non.

— Alors faites-moi l’honneur d’être des nôtres pour le repas annuel que j’offre aux résidents.

— Vous nous invitez à déjeuner ?

— C’est une tradition, le dimanche qui tombe le plus proche du 8 mars. Ce sera votre première édition ! Vous verrez, c’est très convivial. Voilà l’occasion de nous rencontrer autrement, et vous pourrez aussi découvrir ceux de vos voisins que vous ne connaissez pas encore. On vit finalement sous le même toit sans rien partager. C’est dommage. Je pense que M. Dussart sera présent…

Je ne relève pas.

— J’accepte avec plaisir. C’est très aimable à vous. Souhaitez-vous que je prépare au moins un dessert ?

— Si cela vous tente, pourquoi pas ? Je vous inscris donc et je m’en réjouis. Vous me direz si vous venez seule ou accompagnée. Bonne journée !

Seule ou accompagnée ? Voilà bien la grande question de ma vie. Chaque circonstance m’interpelle sur ce point. Est-ce que je veux être seule ? Non, assurément. Est-ce que je vais réussir à trouver quelqu’un pour m’accompagner ? Pour le déjeuner du concierge, je dois pouvoir. Pour le reste de ma vie, c’est une autre paire de manches.

En attendant, pour ce qui est du dessert, je promets de n’injecter aucun laxatif dedans.

Je traverse la cour. Il fait beau, le soleil est éblouissant comme il peut l’être lors des belles journées d’hiver. Si je fais abstraction de mes interrogations existentielles, la journée commence bien. J’aime vraiment l’énergie communicative de M. Alfredo. Lorsque je serai obligée de quitter l’appartement, il me manquera autant que le lieu. Je trouve rassurant de vivre proche de gens comme lui.

À l’arrêt du bus, je tombe sur la petite dame, assise au bout du banc, à sa place habituelle.

— Je suis bien contente de vous voir, lui dis-je. Voilà des jours que vous n’étiez pas là.

— J’ai été malade. Mais ça va mieux.

— Vous attendez Henri ?

Elle regarde sa montre.

— Il est encore en retard, mais ne devrait plus tarder.

— Mon bus est là. Je vous laisse ! À demain !

— Bonne journée, jeune fille.

Elle m’a appelée « jeune fille ». Décidément, la journée débute magnifiquement. Je serais curieuse de découvrir à quoi ressemble Henri. J’ai l’impression qu’il n’est pas souvent à l’heure. Il est vrai que les hommes et la ponctualité, ça fait souvent deux.

En arrivant au bureau, je découvre Pétula plongée dans son livre. Elle grignote une barre chocolatée.

— Bonjour Pétula.

— Salut Marie !

— Toujours dans ton bouquin ?

— Plus que jamais. Là, ils expliquent que les chiens captent la radio et que l’armée américaine les entraîne pour faire de l’espionnage. Je te raconterai, mais pour le moment dépêche-toi, la formation a commencé depuis dix minutes. Ton groupe est en salle de réunion. Il ne manque que toi. Fonce !

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