60

Il n’aura fallu que deux jours à Notelho pour dénicher l’info explosive. Rien de surprenant venant d’une fouine. Plus jeune, mon caractère m’aurait poussée à réviser mon jugement sur lui et j’aurais été tentée de lui pardonner ses comportements passés — il est vrai qu’il nous est très utile dans la guerre qui s’annonce. Mais ce que j’ai traversé, dans ma vie privée comme dans ma vie professionnelle, m’incite à ne jamais oublier ni ce qu’il est, ni la raison qui l’a poussé à se rallier à nous. Je suis prête à pardonner à un idéaliste qui s’est sincèrement fourvoyé. Pas à un opportuniste qui reste fidèle à sa nature.

Au téléphone, il m’a simplement dit :

— Rejoignez-moi dans cinq minutes à la photocopieuse. J’ai du neuf et c’est encore mieux que ce que j’espérais. Que l’une de vos amies éloigne ceux qui pourraient nous déranger.

Je regarde la trotteuse de ma montre. Plus que quatre tours.

— Florence, c’est Marie. Je ne te dérange pas ?

— Du tout. Tu vas bien ? Tu as la voix un peu stressée…

— Écoute, j’ai besoin de toi. D’un instant à l’autre, Notelho va se rendre au local reprographie. Une fois qu’il y sera, fais en sorte que personne n’y pénètre à part moi. Il a des infos.

— Ça roule. Compte sur moi.

Plus que deux tours de trotteuse. Je suis impatiente de savoir ce que Notelho a trouvé. Je me lève et j’y vais.


Il semble aussi excité de me faire ses révélations qu’inquiet d’être découvert. Je n’avais jamais vu de fouine aussi craintive et aussi enthousiaste. Il m’attire au fond de la pièce et me fait signe d’approcher. Redoute-t-il que les machines nous espionnent ? À mi-voix, il explique :

— Cette fois, je lui ai fait les poches… Vous ne le savez peut-être pas, mais M. Deblais doit sa carrière à sa femme, Amandine. C’est elle, fille d’un grand céréalier, qui a toujours assuré leur train de vie et qui, grâce à ses relations, lui a mis le pied à l’étrier dans le monde des affaires. L’un des principaux actionnaires de Dormex est un ami d’enfance de madame. Leurs parents étaient très proches.

— En quoi cela nous est-il utile ? Vous pensez qu’elle prendrait notre défense ?

— Non, mais je vous parie qu’elle n’aimerait pas apprendre ce que son mari fait tous les jeudis de 20 heures à 23 heures alors qu’elle le croit au club de tir. C’est une relation qui lui doit de l’argent qui lui sert d’alibi.

— Et que fait-il pendant que tout le monde le croit à son club ?

— Je dois vraiment vous faire un dessin ?

— Non, inutile. J’ai encore eu récemment la confirmation que nous étions des animaux… Certains plus que d’autres. Savez-vous avec qui il trompe sa femme ?

— Les premiers éléments de mon enquête laissent penser qu’elles sont plusieurs. Je ne sais pas encore qui. Mais je sais où.

— Que proposez-vous ?

— Il faut réunir des preuves et l’obliger à faire échouer la liquidation.

— Vous voulez le faire chanter ?

— Je suis certain que si sa femme découvre qu’il batifole dans son dos, elle le virera. La famille de madame n’est pas du genre à aimer le scandale, encore moins l’humiliation, surtout venant d’un homme qui leur doit sa réussite.

On dirait le feuilleton de maman. Je lui demande :

— Qui va rassembler ces preuves ? Vous ?

— J’ai déjà fait beaucoup… Je vais encore essayer de dénicher un maximum de détails sur son nid d’amour, mais il m’est impossible d’y aller ou même de le filer. Il me reconnaîtrait.

— Trouvez tout ce que vous pouvez et nous verrons si nous nous en contentons.


À ma sortie du local, Florence et Valérie scrutent mon visage pour vérifier que tout s’est bien passé. Je leur fais un clin d’œil, le pouce levé.

— Sandro te cherche, me souffle Valérie. Ça avait l’air important. Je lui ai dit d’aller t’attendre à ton bureau.

— Merci Valérie.

Je ne trouve personne devant ma porte. Je continue jusqu’à l’accueil et y découvre Sandro en grande conversation avec Pétula.

— Ça te va super bien, ce côté garçon.

— Il faut maintenant que je me trouve un prénom masculin.

— Théo, ça t’irait pas mal.

— T’as raison, j’aime bien. C’est vendu !

Dès qu’il me repère, Sandro se précipite.

— Marie ! Je voulais que tu sois la première à savoir. J’ai suivi ton conseil. J’ai parlé à Kévin.

— Et alors ?

— On est tombés dans les bras l’un de l’autre. C’était merveilleux.

— Évite de raconter ça à n’importe qui, ou alors replace-le dans son contexte.

Il rit et m’attrape la main, qu’il embrasse comme si j’étais une sainte.

— Je n’aurais jamais eu le courage sans toi. J’étais tellement inquiet ! Cela restera un moment génial entre nous.

— Tu vois, tu ne risquais rien.

— On ne peut se dire cela qu’après, Marie. Seulement après.

— Je mesure chaque jour à quel point ce que tu dis est vrai.

— Je dois téléphoner à Mélanie, lui dire que nous n’avons plus à nous cacher.

En le voyant si heureux, je me dis que le bonheur ne devrait jamais avoir à être dissimulé. C’est une fleur qui s’épanouit au grand jour. Je viens de découvrir un autre secret concernant notre espèce : nous sommes à la fois des animaux et des plantes. Pas évident. Ceci dit, en y repensant, il est vrai qu’il m’est arrivé de montrer les dents parce que je prenais racine…

— Dépêche-toi d’aller la prévenir. Si tu y penses, embrasse-la pour moi.

— Marie, comme on dit chez toi, je te globiche très fort.

Загрузка...