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Virginie me présente la lettre qui lui a été remise en personne et devant témoin par M. Deblais. Sa main tremble et j’ai du mal à lire.

— Une mise à pied temporaire et un avertissement ?

— Il a eu le culot de me dire que ces quelques jours sans solde me laisseraient le temps d’aller chercher mes enfants à l’école. Qu’est-ce que je vais devenir ? Pas de doute, il veut ma tête. Je suis la prochaine sur la liste.

— On va s’organiser. Comment a réagi Notelho ?

— Il n’a rien dit. Courageusement, il regardait ailleurs chaque fois que je me tournais vers lui.

— Tu permets que je fasse une copie de ce courrier ? Je vais appeler l’inspection du travail. J’ai un copain là-bas. Il pourra sans doute nous conseiller.

— Marie, dis-moi la vérité. Tu crois vraiment que je peux m’en sortir ?

— L’erreur serait de baisser les bras. Deblais cherche à te faire craquer. Il pense qu’en s’en prenant à une femme qui élève seule deux enfants, il s’attaque à une proie facile. Mais il sous-estime notre capacité de réaction, et tu vas me faire le plaisir de lui prouver qu’il mésestime aussi ta force de caractère. Ne lui fais pas le cadeau de flancher, il n’attend que ça. Alors puisque tu veux la vérité, je vais te la dire comme je la vois. Il veut ta peau, mais pas uniquement la tienne. Il veut tous nous virer. Il a déjà fait sauter Magali. Tu es sa nouvelle cible. On ne va pas se laisser faire, mais pendant que nous nous mettons en ordre de bataille, tu dois être irréprochable. N’offre aucune prise aux reproches. Je sais que c’est un effort, mais tu dois être souriante et motivée comme si tout se passait à merveille. Profite de ces quelques jours de mise à pied pour te détendre et passer du temps avec tes enfants. Je m’occupe du reste.

— Tu sais que je te fais confiance. Si tu me lâches, je suis foutue.

Je la regarde dans les yeux.

— Virginie, je ne te dis pas que j’ai la solution miracle, mais j’ai deux ou trois cartes dans la manche. Si nous ne sommes pas capables de te sauver toi, alors nous y passerons tous.

Je pense avoir réussi à la rassurer un peu. Sans doute parce que ce que j’ai dit est vrai. Une idée me vient. Finalement, le tableau que je devais préparer pour Deblais devait lui servir à traquer les failles de chaque contrat, mais il préfère visiblement se servir des points faibles dans la vie privée. Je pourrais très bien réfléchir comme lui, traquer les fragilités, non pas pour l’aider, mais pour anticiper ses coups. Je comprends parfaitement pourquoi il s’en est pris à Magali et pourquoi il harcèle Virginie. Si j’étais à sa place, quelle serait ma prochaine victime, et par quel bout l’attraperais-je ?

Émilie débarque. Elle est radieuse, rayonnante d’énergie, habillée comme en plein été alors qu’il fait toujours froid dehors.

— Toi, tu as revu Julien…

— Pas encore, mais on se téléphone à s’en exploser les forfaits.

— Votre enquête sur le stationnement avance ?

— Un peu, mais j’espère qu’on va vite en arriver au chapitre qui concerne la banquette arrière de sa voiture…

— Émilie, un peu de romantisme, s’il te plaît.

Elle change de sujet :

— As-tu croisé Notelho ce matin ?

— Non, pas encore.

— Figure-toi qu’il a un gros pansement au front, un peu comme mon ancien prof de théâtre, mais cette fois, je le jure, je n’y suis pour rien. J’ai d’ailleurs un alibi !

— Tu n’en as pas besoin, c’est moi la coupable.

— Quoi ?

— Je lui ai flanqué des coups de planche hier soir.

— Tu as fait quoi ?

Je lui mime le geste de Guignol tabassant Gnafron. C’est à elle d’être sciée, l’usine à bois marche à plein régime. Elle commente :

— J’ai bien remarqué que, pendant le pot d’adieu de Benjamin, il te tournait autour. Ne me dis pas que c’est lui qui t’a écrit les lettres !

— Pas de danger. Mais l’autre jour, quand on a fait tomber le dossier dans le bureau de Deblais, lui a vu le contenu. Et il sait désormais que sa place est réservée à nos côtés dans la charrette qui conduit à l’échafaud…

— C’est pour cela que tu l’as tapé ?

— Non, c’est plus compliqué que ça, mais ce qui compte, c’est que maintenant, il me picore dans la main. Il va nous aider.

— Tu es donc comme ça, toi ? Tu tapes les hommes à coups de planche pour les dominer ? C’est quoi l’étape suivante, tu le ligotes et tu l’enduis de confiture ?

Notelho passe justement dans le couloir. Il se dirige vers la salle de reprographie. Je décroche aussitôt mon téléphone.

— Valérie, ça te dirait de venir à la photocopieuse terrifier Notelho avec ton soutif pendant que je le menace avec une planche ?

— Je ne suis pas certaine de tout comprendre, mais j’arrive !

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