À peine la porte entrebâillée, Youpla se précipita dans les jambes d’Andrew pour lui faire la fête. Il couinait en bondissant, la queue en mode hélicoptère. Un vrai chien de garde.
— Monsieur Cake ! Comme c’est gentil de passer. Si j’avais su, j’aurais préparé quelque chose.
— Désolé d’arriver à l’improviste, mais il fallait que je vous parle. Je ne dérange pas au moins ? Vous n’attendez personne ?
Magnier secoua la tête avec un petit rire, mais il n’était visiblement pas à l’aise.
— Je vous offre à boire ?
— Non merci, je sors de table.
— Un digestif ?
— Sans façon, vraiment.
— Vous jouez aux échecs, alors ?
Andrew ne fut pas certain de comprendre le sens de la question.
— Que voulez-vous dire ? C’est encore une de vos expressions ?
— Non, je vous demande simplement si vous jouez aux échecs. Avec les cases noires et blanches, le roi, la reine, les tours et les cavaliers…
— Pourquoi voulez-vous savoir cela ?
— Parce que vous n’avez pas l’air d’être le genre d’homme à passer des heures autour d’une bouteille, alors je me demande à quoi nous allons bien pouvoir occuper notre temps.
Philippe était désarmant de sincérité.
— J’ai joué quand j’étais plus jeune, mais cela fait bien longtemps.
— Parfait. On s’y remettra ensemble. Mais pas ce soir, j’imagine. Alors, de quoi vouliez-vous me parler ?
— Je crois que l’on devrait réparer l’interphone du portail et celui qui relie votre maison au manoir.
Magnier se frotta le menton en grimaçant.
— Pour celui du portail, je ne suis pas contre. Pour le mien, si c’est vous qui vous en servez, je suis d’accord, mais si c’est Odile…
Andrew en profita pour oser poser la question :
— Qu’est-ce qui se passe entre Odile et vous ?
— Ce serait plutôt qu’est-ce qui ne se passe pas. Je n’ai même pas le droit d’entrer dans sa cuisine ! Alors qu’on bosse pour la même patronne !
— Un problème entre vous ?
— Elle a toujours eu peur de perdre son job. Alors elle repousse tous ceux qui risquent d’empiéter sur son territoire. Je travaillais sur le domaine avant elle mais je vivais déjà à l’écart, ici. Me maintenir à distance n’a pas été compliqué. Avec vous, elle risque d’avoir plus de mal…
— Elle ne s’est pas rassurée avec les années ?
— Pas vraiment.
— Elle semble encore très remontée contre vous.
— Il y a bien autre chose. À vous, je peux l’avouer. Je vis seul, elle vit seule, alors j’ai essayé de changer la situation pour nous deux en une seule opération…
— Je comprends.
— Elle a très mal réagi, et depuis elle se méfie de moi et me rembarre sans arrêt. Je n’ai sans doute pas été très fin, mais quand même !
— Pardon de vous poser ces questions, mais je débarque et j’essaie de comprendre pourquoi tout est de travers, dans le manoir, dans la plomberie et dans la tête des gens.
— Mais le monde est ainsi, monsieur Clack ! C’est la triste condition humaine. Nul n’échappe au désordre qui affecte notre univers imparfait.
— C’est donc vrai ce que l’on raconte…
— À quel sujet ?
— Sur les Français qui philosophent pour tout et n’importe quoi. Allez, Magnier, offrez-moi un petit verre de votre vermifuge et je me sauve.
Philippe se dépêcha de sortir les verres et sa bouteille sans étiquette.
— Vous savez, monsieur Flakes, jouer aux échecs dehors, c’est encore plus agréable. On peut s’installer sous la tonnelle. On profitera des derniers beaux jours.
— Je vous aime bien, monsieur Magnier. Franchement, je vous aime bien. Mais si vous écorchez encore une seule fois mon nom, je vous fais avaler votre zigouillette écrasée.