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Il fallut à peine deux heures aux transporteurs pour emballer et évacuer toute la collection de livres dans des caisses capitonnées. Blake était resté avec eux pendant la durée de l’opération. Madame se tenait cloîtrée dans ses appartements, probablement brisée de chagrin. Même Odile avait eu les larmes aux yeux lorsqu’elle était venue proposer à boire aux déménageurs. Le camion était reparti. Avec ce départ, le manoir avait retrouvé son calme, mais il avait aussi perdu beaucoup.

Blake contemplait les meubles vides dans lesquels les rares objets de décoration semblaient incongrus. Au supermarché, il avait acheté quelques draps de couleur taupe qu’il déballa les uns après les autres.

— Vous voulez de l’aide ? demanda Manon, appuyée sur le chambranle de la porte.

— Ce n’est pas de refus. Tout ce vide me donne le cafard.

— C’est une bonne idée, les draps, ça fera moins triste.

— Je ne veux pas que Madame voie la bibliothèque ainsi. Et puis ce sera aussi moins déprimant pour moi.

— Les finances du domaine vont si mal que ça ?

— Madame cherche des solutions…

— La semaine dernière, elle m’a payée en liquide. C’est la première fois.

Blake n’était pas au courant. Manon reprit :

— J’espère qu’elle ne va pas être obligée de licencier. Pour Odile, comme pour Philippe, ce serait une catastrophe. Vous, doué comme vous êtes, vous n’aurez aucun mal à vous retrouver un poste dans une maison encore plus grande qu’ici.

— Et toi, Manon ? Où iras-tu ?

— Justin rentre de déplacement dans quelques jours. Tout dépend de lui. Au pire, je retournerai chez ma mère.

— J’espère que tu y retourneras pour d’autres motifs que la contrainte.

— Elle m’a envoyé un texto. « Comment tu vas ? » avec un smiley qui pleure. Elle ne s’est pas foulée…

— C’est déjà un bon début. Tu as réussi à capter avec ton téléphone ?

— Je suis montée sur la colline. Une véritable expédition. J’avais l’intuition que Justin m’avait laissé un message.

— Belle intuition. Avec une petite erreur sur l’expéditeur. Mais c’est une excellente nouvelle quand même. Et ces révisions ?

— J’avance.

— Ton ventre s’arrondit.

— Le petit pèse de plus en plus lourd.

— Tu en parles comme d’un garçon…

— Une autre intuition. On verra si celle-là est juste.

La présence de Manon donna soudain une idée à Andrew.

— Tout à fait entre nous, puis-je te demander ton avis au sujet d’Odile et de Philippe ?

— Je les aime bien tous les deux. Des caractères… Je suis contente qu’ils s’entendent de mieux en mieux.

— Tu l’as remarqué, toi aussi…

— C’est vraiment le jour et la nuit par rapport à ce que c’était quand je suis arrivée.

— Manon, accepterais-tu de me donner un coup de main ?

— Pour quoi faire ?

— Leur ouvrir les yeux.

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