Encore un courrier de la banque que Mme Beauvillier glissa dans son tiroir. Elle enchaîna sans entrain avec un catalogue dont la couverture présentait pourtant un sapin de Noël couvert de guirlandes et de boules multicolores, avec à côté un joyeux bonhomme de neige rondouillard. Elle contempla un instant la créature au nez de carotte coiffée d’un haut-de-forme, vaguement monstrueuse, avant de rejeter l’ensemble. Pour réagir ainsi, son moral devait être au plus bas. Elle soupira en découvrant la lettre suivante. Enveloppe verte, adresse manuscrite. Identique à celle qu’Andrew avait aperçue environ un mois plus tôt. Sans s’attarder, Mme Beauvillier la glissa dans le broyeur, qui la transforma en fines bandelettes.
— Maigre récolte…, commenta-t-elle en constatant qu’il n’y avait plus rien à décacheter.
— Vous semblez soucieuse, nota Andrew.
— Ne vous en faites pas, monsieur Blake. Votre rôle n’est pas de vous inquiéter. J’assume tout.
Madame détourna le regard, comme si elle avait craint qu’Andrew puisse y lire autre chose que ce qu’elle avait dit. Il n’insista pas et rebondit :
— Si vous avez encore une minute à me consacrer, j’aurais souhaité aborder plusieurs points relatifs au fonctionnement du manoir.
— Je vous écoute.
— J’ai proposé à Odile d’aménager une chatière dans la porte qui donne sur le jardin, pour Méphisto. Cela ne coûtera rien. Y voyez-vous un inconvénient ?
— Si cela peut lui éviter de pousser des hurlements en découvrant des souris mortes, vous avez ma bénédiction.
Blake s’éclaircit la voix avant de poursuivre — il savait le sujet suivant plus délicat.
— J’aurais aussi souhaité savoir si vous accepteriez que je m’installe dans la bibliothèque pour y rédiger vos courriers. Je n’ai pas de bureau et votre secrétariat nécessiterait bien un espace de travail plus approprié que la table de la cuisine.
— Je ne tiens pas à ce que l’on entre dans cette pièce.
— Je le sais, mais c’est pourtant l’endroit le plus adapté à ce que je dois faire. La collection de livres de votre mari ne s’en porterait d’ailleurs que mieux. Toujours dans l’obscurité, sans ventilation, sans ménage, ce n’est pas idéal.
Mme Beauvillier baissa les yeux comme on rend les armes.
— J’ai besoin d’y réfléchir. Vous aurez ma réponse demain.
— Bien, madame. Le dernier point est plus personnel…
— Vous n’allez pas encore essayer de vous mêler de mes affaires ?
— Tout au plus tenter de prendre soin de vous. Odile et moi vous trouvons fatiguée ces derniers temps. Nous serions d’avis que vous preniez rendez-vous avec un médecin…
— Certainement pas. Pour qu’il me gave de médicaments qui détruisent autant qu’ils soignent ! Je suis très touchée de votre sollicitude, mais je suis assez grande pour prendre soin de moi. Autre chose ?
— Non, madame.
— Alors je vais vous demander de me laisser.
— Vous n’attendez personne dans les prochains jours ?
— Aucun rendez-vous n’est pris. Vous serez informé en temps utile, merci.
Avant de sortir, Andrew la regarda une dernière fois. Son visage était tendu, presque crispé. À la première occasion, il se ferait un devoir d’aller voir pourquoi au fond de la penderie. Beaucoup de réponses l’y attendaient.