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— Pile poil ! s’exclama Magnier en constatant que la pointe du grand sapin effleurait juste le plafond du salon.

— Il est plus haut que celui de l’école ! s’enthousiasma Yanis.

Le jeune garçon avait aidé le régisseur et Blake à couper l’arbre dans les bois du domaine et à le rapporter jusqu’au manoir. Il se tourna vers Andrew.

— Alors c’est sûr, je vais pouvoir offrir une super télé à ma mère pour Noël ?

— Nous n’avons qu’une parole, mon grand, répondit celui-ci. Tes résultats étant ce qu’ils sont, tu l’as bien mérité.

— Mais attention, ajouta Magnier, si ta moyenne descend, on la reprend.

— C’est pas vrai, vous ferez pas ça !

— Non, bien sûr, tu seras juste privé de Youpla.

Blake recula pour admirer l’arbre. Son parfum embaumait déjà la pièce. Philippe et lui assurèrent la fixation du pied dans une grosse bûche percée. Manon arriva avec deux cartons qu’elle posa sur le plancher.

— J’ai trouvé de quoi le décorer. Il y a de tout, des boules, des guirlandes…

Yanis plongea avec ravissement dans les boîtes, fouillant dans les décorations multicolores, et demanda :

— Quand on aura fini, j’aurai le droit de voir les petits chats ?

— Odile t’emmènera là-haut tout à l’heure, répondit Manon. Pour le moment, elle est occupée.

— Occupée au point de ne pas venir voir le sapin ? s’étonna Blake.

— Elle est avec Madame…, répondit Manon, évasive.

Le malaise de la jeune femme alerta Blake, qui insista :

— Vous avez une idée de ce qu’elles font ?

— Je ne sais pas…

— Elles ne sont pas en rendez-vous, au moins ?

— Si Madame sait que je vous ai parlé, elle m’en voudra beaucoup.

— Quand sont-ils arrivés ?

— Juste après votre départ chez Philippe pour choisir le sapin.

Blake vérifia sa montre.

— Ils sont donc là depuis bien plus d’une heure. Ils sont deux ?

— Andrew, s’il vous plaît, ne m’obligez pas…

— En costume sombre.

— Ils n’ont même pas retiré leur manteau, ils sont repartis avec Madame et Odile dans le parc.

Le sang de Blake ne fit qu’un tour.

— Ils sont venus la faire signer !

Andrew se tourna vers Philippe.

— S’il te plaît, descends chez toi prendre ton fusil et rejoins-moi au grand portail. Ils ne doivent pas repartir avec le compromis de vente.

— O.K. J’ai compris. Si tu veux, je joue le mauvais flic et tu seras le bon flic.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Je fais le gros méchant, toi tu restes calme, comme ça, ils seront plus enclins à négocier avec toi.

Why not ?


La voiture des visiteurs était toujours garée devant l’entrée du domaine. Derrière la grille, Andrew la regardait en tournant comme un lion en cage. Philippe arriva en courant, le fusil en bandoulière, avec Youpla qui faisait le fou dans la neige.

— Pourquoi as-tu amené le chien ?

— Je me suis dit que ça serait plus impressionnant.

— Tu lui as mis une muselière ?

— Ça fait chien de garde. Sinon, il aurait été capable de leur apporter un bâton ou d’essayer de leur lécher la figure…

Blake releva les yeux vers le parc.

— Je me doutais qu’elle préparait un coup dans ce genre-là.

— Tu crois que Madame leur a vendu la parcelle pour le lotissement ?

— Quoi d’autre ? Elle ne parle plus de ses problèmes d’argent. Elle a même envisagé de faire refaire les salles de bains.

— C’est pas bien ?

— Je me suis renseigné sur eux. Vu leurs méthodes et le besoin urgent qu’elle avait d’argent, je te parie ce que tu voudras qu’ils ont abusé de sa situation. Et comme elle a tout géré toute seule dans son coin, elle a dû se faire avoir en beauté…

— Mais si elle ne vend pas, elle retombe dans la mouise ?

— On trouvera une solution. Il existe forcément d’autres moyens que cette escroquerie. Je me demande si la banque n’a pas joué un rôle en faisant pression…

— Tu crois vraiment ?

— Tu n’imagines pas ce dont certains sont capables pour autant d’argent… Pour le moment, on empêche ces requins de manger Nathalie. Ton fusil est chargé ?

Philippe passa la bandoulière par-dessus sa tête et brandit l’arme.

— Je me suis dit que si ça tournait au vinaigre, on pourrait toujours tirer en l’air pour les effrayer.

— Ne prends aucun risque. On récupère les papiers, on ne tue personne.

— T’es vraiment un drôle de gars, Andrew…

— Comment dois-je le prendre ?

— Bien, mais quand même. Tu te renseignes sur des sociétés, tu en sais plus que moi sur Madame alors que je suis arrivé des années avant toi… Dis-moi… Tu as toujours été majordome ?

— À toi je peux bien l’avouer, j’ai aussi été danseuse étoile et marchande de poissons. Tiens-toi prêt, ils arrivent.

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