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Même s’il n’était pas l’heure du courrier, Andrew frappa à la porte des appartements de Madame.

— Entrez, Odile.

Blake entrouvrit la porte.

— Ce n’est pas Odile, madame, c’est Andrew.

— Que se passe-t-il ?

— Nous devrions parler.

— Voyons cela tout à l’heure, monsieur Blake, lors de notre séance. Je suis occupée.

— Si vous le permettez, je pense qu’il y a urgence.

Il franchit le seuil. Mme Beauvillier était assise à son bureau, des relevés de comptes étalés partout devant elle, une calculatrice à la main. Elle se raidit instantanément en voyant Blake forcer sa porte.

— Je vous ai dit que nous verrions votre problème tout à l’heure.

— Permettez-moi d’insister.

— Et si je ne vous permets pas ?

— Madame, Odile et moi sommes inquiets à votre sujet. Votre santé n’est pas au mieux…

— C’est l’automne, tout le monde semble plus fatigué en cette saison…

— Je crois pourtant que la cause est tout autre. Vos conseillers financiers…

Elle le coupa :

— Cela ne vous regarde pas.

— Mon but n’est pas de m’immiscer dans vos affaires…

— C’est pourtant ce que vous faites.

— Je crois que je le dois.

Agacée, Mme Beauvillier commença à ranger ses documents. Par petits paquets, elle les enfourna dans son tiroir. Ses gestes de plus en plus brusques trahissaient la colère qui montait.

— Je pense que vous devriez voir un médecin, argumenta Blake. Écoutez au moins son avis sur votre état, faites quelques analyses…

— En plus d’être un expert en placements, vous êtes aussi docteur ?

— Soyez raisonnable. Vous ne vous nourrissez presque plus. Chaque matin, je vous vois ouvrir des courriers qui vous laissent de plus en plus abattue. Pourquoi refusez-vous l’aide que l’on vous propose ?

Les dernières feuilles rangées, Madame referma le tiroir d’un coup sec et se leva.

— Je n’ai pas besoin d’aide, monsieur Blake. C’en est trop. J’ai passé l’âge de recevoir des leçons et des conseils.

Elle se dirigea vers sa chambre sans se retourner.

— Maintenant, je vous demande de me laisser. Je ne souhaite pas vous revoir aujourd’hui. Vous demanderez à Odile de m’apporter mon courrier en temps et en heure.

Madame claqua la porte derrière elle. Andrew hésitait sur la conduite à tenir. Il ne se voyait pas redescendre sans avoir crevé l’abcès. Attendre un jour de plus ne servirait à rien. Il avança vers la porte de la chambre et posa sa main sur la poignée.

— Madame, écoutez-moi, s’il vous plaît…

Aucune réponse. Blake ouvrit la porte. Mme Beauvillier était sur son lit, recroquevillée. Elle se redressa violemment.

— Comment osez-vous ?

— Vous ne me laissez pas le choix.

— Je vous ai demandé de me laisser tranquille.

— Ma conscience ne me le pardonnerait pas.

— Ce n’est pas votre conscience qui vous verse votre salaire, c’est moi.

— Vous allez voir un médecin. S’il ne vous convient pas, nous en changerons autant de fois qu’il le faudra.

— Je vous interdis…

— Par respect pour vous, je vais désobéir. Il en va de votre santé et de l’avenir de ce domaine.

Madame s’était redressée. Furieuse, elle fixait Blake d’un regard qu’il n’aurait même pas cru possible de sa part. Il devait malgré tout poursuivre. Il franchit le seuil de sa chambre. Elle leva la main pour le stopper.

— Si vous faites un pas de plus, je vous renvoie.

Sa voix était froide, cassante. Andrew recula.

— Ne me renvoyez pas, madame. Nous aurions beaucoup à perdre, vous comme moi.

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