Sous l’auvent de la petite maison de Philippe, les trois garçons se tenaient debout en regardant la pluie qui tombait à grosses gouttes. Yanis était entre Philippe et Andrew, face au parc tellement gris qu’il ressemblait à une photo en noir et blanc. Trois générations côte à côte, tous étrangers l’un pour l’autre, et pourtant de plus en plus proches.
— Chez nous, fit Magnier, quand ça descend comme ça, on dit qu’il pleut des cordes.
— En Angleterre, on dit qu’il pleut des chats et des chiens. Je sais ce que tu vas dire, Philippe, et je ne suis pas loin d’être d’accord avec toi.
— La prof de maths, elle dit qu’il pleut comme vache qui pisse.
Les deux aînés regardèrent le plus jeune.
— En parlant de maths, réagit Blake, tu as fini les exercices que je t’avais donnés à faire ?
— C’est super dur. Et puis je préfère les problèmes. Je comprends mieux quand c’est une situation, qu’il se passe des choses avec des chiffres.
— Yanis, je ne peux pas à chaque fois t’inventer des histoires de deux pages pour des opérations d’une ligne. Il faut que tu les aies finis pour demain parce qu’après, on révise les divisions.
L’enfant était dépité.
— Ma mère, elle aura sa télé en l’an trois mille.
— On aura inventé autre chose d’ici là. Il n’y aura plus de télé.
— Il n’y aura plus ma mère non plus, de toute façon.
— Raison de plus pour te dépêcher de faire tes devoirs.
— Qu’est-ce que j’y gagne ?
Philippe et Andrew regardèrent à nouveau le petit.
— Ça, c’est vrai que tu es fort pour la « négo »…
Yanis releva les yeux vers Blake.
— En fait, j’aimerais bien vous demander un truc.
— Tu veux dire, en plus du temps que l’on te consacre ?
Philippe intervint :
— Je te rappelle que tu ne fais presque plus les courses…
Yanis donna un coup de poing dans le vide face à lui.
— Vous êtes super intransigeants…
— Intransigeants ? s’étrangla Magnier. Esclavagistes, pédophiles et intransigeants ? Tu devrais te sauver en courant. Mais attends quand même la fin de l’averse…
— D’où sors-tu ce mot ? demanda Blake.
— Du livre qu’on lit en ce moment. C’est l’histoire de cinq enfants qui cherchent un trésor sur une île déserte. C’est super, ils ont un chien qui s’appelle Youpla.
Discrètement, Magnier fit un clin d’œil à Blake.
— Quel est donc ce « truc » qui te ferait plaisir ?
— Vous connaissez Halloween ?
— Un peu, mais en Angleterre, c’est moins fêté qu’aux États-Unis.
— En France, ça n’a pas vraiment pris non plus, précisa Magnier.
— Peut-être, mais moi j’aimerais bien fêter Halloween avec mes copains.
— Ça devrait pouvoir se faire.
— Il faut des tonnes de bonbons !
— Sachant qu’il faut mille grammes pour faire un kilo et qu’un Carambar en pèse vingt, combien y a-t-il de Carambar dans un kilo ?
— Ça pèse combien, une fraise Tagada ? intervint le régisseur. J’aime bien les fraises Tagada.
— Philippe, on est en train de travailler, là.
Yanis se mit à réfléchir de toutes ses forces. Pendant un long moment, on n’entendit que le bruit de la pluie qui martelait les feuilles, la table métallique et le toit. Il finit par déclarer :
— C’est trop gros pour ma tête. J’ai besoin d’un ordinateur.
— Ce n’est pas la réponse que j’espérais. Tant pis. Tu fêteras Halloween une autre fois.
L’enfant bougonna et se concentra à nouveau. Philippe tendit la main pour vérifier que la pluie mouillait bien.
— Avec ce qu’il tombe, on va enfin savoir de quelle couleur est la voiture.
— Je crois qu’elle est bleu ciel, dit Blake.
— Je m’en souvenais plutôt vert anis, répliqua Magnier.
— Tu buvais déjà ton apéritif à l’époque ?
— Qu’est-ce qu’il a, mon apéritif ?
— Rien du tout. Je te dis que cette voiture est bleu ciel.
— Verte.
— On parie ? provoqua Blake.
— On parie quoi ? fit Magnier, intéressé.
— Cinquante ! s’exclama Yanis. Il faut cinquante Carambar pour faire un kilo !