Installés côte à côte dans le canapé, silencieux, Odile, Manon, Andrew et Philippe regardaient le sapin clignoter dans l’obscurité. Les guirlandes lumineuses éclairaient leurs visages de lueurs multicolores changeantes. Ils étaient fascinés par l’arbre qui se redessinait sans cesse au gré des illuminations. Nichés au creux des branches décorées, d’innombrables petits mondes féeriques apparaissaient au rythme des lampes, enflammant l’imagination ou ravivant de purs souvenirs d’enfance. Jouant sous les branches basses, un chaton essayait d’attraper une boule rouge pendant que deux de ses frères et sœurs s’amusaient de l’autre côté avec une guirlande dorée. La ménagerie avait adopté la pièce comme terrain de jeu. Avec application, Philippe dégagea une à une les griffes d’un joli petit félin tigré qui s’intéressait de trop près à son pull préféré. Profitant d’un moment de répit, Méphisto dormait, blottie sur les genoux d’Odile.
— Moi, murmura Manon, si je rencontrais le père Noël, je lui demanderais une chambre pour le bébé, un mariage avec Justin, et aussi de pouvoir rester travailler ici, avec vous tous…
Odile se prêta au jeu.
— Je lui demanderais dix ans de moins, et du courage, mais je ne crois pas qu’il ait ça dans sa hotte…
Philippe prit la parole :
— Pour moi, ce serait un ultime repas avec mon père et ma mère. Seulement un. On parlerait beaucoup. J’ai tellement de trucs à leur dire… Et puis aussi une soirée comme celle-là avec mes enfants, si j’en avais…
Blake ne savait pas quoi dire. Il désirait trop de choses qui, pour la plupart, ne s’achetaient pas ou ne passaient pas par la cheminée.
Madame entra dans le salon. Toujours convaincue de tenir la solution à ses problèmes, elle était d’une humeur légère.
— Que faites-vous tous ainsi dans le noir ?
— On parle de Noël, répondit Philippe.
— Plus que deux jours, à condition d’avoir été bien sages… N’est-ce pas ce soir que vous dînez tous ensemble ?
— Tout à fait, répondit Odile en se levant. Il faut d’ailleurs que j’aille finir de préparer. Vous êtes certaine de ne pas vouloir partager le repas avec nous ?
— C’est très gentil, mais la journée fut éprouvante. Je préfère me coucher tôt.
Elle désigna deux chatons qui se poursuivaient en sautant sur le tapis.
— Vos petits amis se feront un plaisir de dévorer ma part. Tout à l’heure, ils étaient encore en train de jouer devant ma porte. Quelle animation ! Sur ce, je vous souhaite à tous une excellente soirée. Merci de ce que vous apportez à cette maison. C’est aussi grâce à vous si je m’y sens bien.
Madame allait remonter lorsque Manon se leva du canapé. Elle poussa un petit cri en soutenant son ventre. Odile se précipita.
— Qu’est-ce que tu as ?
— Je ne sais pas, une douleur…
Philippe s’avança, avec un chaton suspendu à la manche de son pull.
— Tu veux qu’on appelle un médecin ?
Blake intervint :
— Ce n’est sans doute pas grand-chose…
— Comment ça, pas grand-chose ? réagit Odile. Voilà bien une réflexion d’homme. On voit que ce n’est pas vous qui portez vos enfants !
— C’est vrai ! renchérit Philippe. C’est quand même quelque chose d’énorme, une grossesse. C’est un grand mystère, un prodige !
Il agitait les bras, avec le chaton qui se balançait en miaulant sa détresse.
— Laissez-moi finir, reprit Blake d’une voix ferme. J’allais proposer d’emmener Manon à l’hôpital pour ne courir aucun risque.
— L’hôpital, pourquoi l’hôpital ? s’enquit Odile.
— Parce que s’il y a le moindre problème, ils auront le matériel pour le traiter.
— Et notre dîner ? demanda Philippe.
Manon fit semblant de tituber et porta la main à son front.
— Ma vue se brouille, je vois des lumières qui dansent…
— N’entre pas dans la lumière ! s’exclama Philippe.
Cette fois, le chaton ne résista pas au mouvement trop vif du bras et valsa pour aller s’écraser sur le canapé.
Dans un geste théâtral, Blake prit Manon dans ses bras.
— Habillez-la. Je vais chercher la voiture. J’ai déjà vu ce genre de malaise chez les femmes enceintes. On va aller vérifier que tout va bien. Ne vous inquiétez pas. Commencez à dîner tranquillement, on vous rejoint.