Dans les jours qui suivirent, Andrew retrouva ses esprits et reprit des forces. Les examens neurologiques n’avaient rien révélé de grave, à l’exception des troubles habituellement constatés après ce genre de traumatisme.
Quand il remonta du scanner, Manon et Justin l’attendaient dans sa chambre.
— Alors les jeunes, comment allez-vous ?
— Vous avez bien meilleure mine. On est là pour une échographie, alors on en a profité.
— Ça me fait bien plaisir de vous voir. Je sens que je peux marcher, mais ils m’obligent à rester tout le temps au lit ou dans un fauteuil. J’ai droit à dix minutes de liberté par jour. Le bagne.
Manon s’avança.
— On sait que notre bébé sera un garçon.
— Ton intuition était donc juste.
— On va l’appeler Théo.
— C’est mignon.
La jeune fille ajouta :
— Pour son deuxième prénom, on a choisi Andrew.
Blake ne comprit pas immédiatement.
— Théo, c’est bien…
Il s’arrêta net.
— Andrew ?
Blake se sentit envahi par un drôle de sentiment.
— Vous ne devriez pas infliger de pareilles émotions à un vieil homme. Merci beaucoup. Venez là que je vous embrasse. Vous n’imaginez pas à quel point cela me touche.
— Ça nous fait plaisir, intervint Justin.
— C’est un grand honneur que vous me faites. Pauvre petit ! À l’école, ses copains vont lui jeter des pierres quand ils s’apercevront qu’il a un deuxième prénom anglais.
— Au manoir, sans vous, ce n’est plus pareil, reprit Manon. Odile et Madame sont déboussolées.
— Si j’avais laissé faire Odile, elle m’aurait apporté mon repas matin, midi et soir. Il faut dire que lorsque je vois arriver leur plateau-repas, je rêve de ses petits plats…
— Madame aussi attend votre retour.
— En parlant de retour, des nouvelles de Méphisto ?
— Toujours pas. Odile est convaincue qu’il s’est fait écraser.
— Pauvre petite boule de poils. Ce serait bien triste.
Manon vit que Magnier était apparu à l’entrée de la chambre. Elle le salua et dit :
— On va vous laisser. De toute façon, on doit y aller.
Elle ajouta à l’adresse de Blake :
— On repasse demain si on peut.
— Merci encore pour le petit.
Manon lui fit un grand sourire puis Justin et elle s’éclipsèrent. Sur le pas de la porte, sans trop oser bouger, Magnier observait son complice en évitant son regard.
— Tu me reconnais ? demanda-t-il timidement.
— Parfaitement. Vous êtes le vicomte de la tronche en biais. Qu’est-ce que tu fais sur le seuil comme ça ? Entre donc.
— Comment te sens-tu ?
— Je récupère. Je suis content de te voir. Tu aurais dû apporter l’échiquier, j’aurais pris ma revanche. Attrape la chaise, tu vas bien rester cinq minutes ?
Magnier ne se fit pas prier. Il regardait maintenant Andrew fixement. Blake désigna la bande qui lui entourait le front.
— Tu as vu, j’ai le même bandage que toi lorsque tu t’es pris ton arbre. J’espère que je ne vais pas autant délirer que toi…
— J’ai eu tellement peur, avoua Magnier. J’ai vraiment cru que tu étais mort. Je m’en serais voulu jusqu’à la fin de mes jours.
— C’est raté. Est-ce pour cela que tu as mis si longtemps à venir me rendre visite ? Même Madame est sortie de son trou.
— Je n’osais pas. Trop honte.
— C’est un accident, Philippe. Le mot est le même en français et en anglais. Personne ne m’a forcé.
— Les docteurs disent qu’une fois ta côte ressoudée, tout sera comme avant.
— Pas tout à fait, Philippe.
Magnier prit peur.
— Que veux-tu dire ?
— Je me souviens très bien de ce que je t’ai demandé lorsque j’ai cru ma dernière heure venue.
— À propos de ta fille ?
— La vie est étrange, mon ami. Quelques jours avant ma chute, c’est une remarque de Manon qui m’a anéanti. Elle a dit que pour ma fille, avoir un père qui fait autant que moi était un don du ciel. Si j’avais été un château, en entendant ça, je me serais effondré d’un coup. Affreux. Je n’ai rien fait pour ma fille. Depuis des années, je m’occupe de tout le monde sauf d’elle. Ça m’a sauté aux yeux à la seconde où Manon m’a dit ça. J’étais dévasté. L’autre électrochoc, c’est toi qui me l’as administré, quand tu m’as rappelé que c’était à moi de lui dire ce que je regrettais…
— Désolé de t’avoir blessé.
— Tu ne m’as pas blessé. Je crois même que c’est grâce à ta remarque que je suis encore vivant. Tu sais, Philippe, avant, mourir ne me faisait pas peur. J’avais la sensation de ne plus rien avoir à faire ici-bas. Mais maintenant, je ne vois plus les choses de la même façon. La mort ne m’attrapera pas avant que j’aie achevé ce qui doit l’être.
Magnier saisit le bras de son complice et lâcha :
— Je suis content de te voir à nouveau avec ton caractère de cochon et tes grandes idées. Pardonne-moi, j’aurais dû venir te voir avant.
— Moi, si un jour tu te retrouves dans le coma, je ne te laisserai pas tomber, infâme crapule. Je serai là dès le lendemain. Je te mettrai une perruque, je te maquillerai et je te ferai poser des implants mammaires. Quand tu te réveilleras, comme moi tu ne te souviendras de rien et là, je te raconterai que tu es Angelina Jolie. Je pourrai même te montrer tes films.
— Pauvre malade !