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— Merci, monsieur Blake. Nous n’aurons plus besoin de vous.

Ces mots marquèrent le coup d’envoi d’un compte à rebours secret dont Andrew avait l’intention d’exploiter chaque seconde. En s’inclinant respectueusement, il recula, laissant Madame avec ses deux conseillers financiers au sourire tellement identique qu’il en devenait effrayant. Quittant le petit salon, il prit soin de bien refermer les portes derrière lui.

Étant donné la quantité de brochures que le duo avait apportées en plus de leur ordinateur portable, le majordome estima qu’il disposait d’un minimum de quinze minutes avant de courir le moindre risque. Il vérifia l’heure et monta les escaliers en prenant garde d’éviter la huitième marche, qui grinçait. Arrivé au palier du premier, il tendit l’oreille vers les étages supérieurs. Odile était au troisième, dans sa chambre, sans doute occupée à lire un de ses romans à l’eau de rose.

Assuré d’avoir le champ libre, Blake se dirigea vers les appartements de Madame. Il pénétra dans l’antichambre et s’attaqua au bureau. Le tiroir dans lequel Madame rangeait les courriers qu’elle ne lui montrait jamais n’était pas fermé à clef. Blake saisit les quelques feuilles : des relances de la banque mélangées à des lettres à en-tête d’un promoteur immobilier. Il trouva également des relevés de comptes et un rapport de gestion comportant un état patrimonial. Ce document attira immédiatement son attention. Ce récapitulatif donnait toute la mesure de la situation qu’affrontait Mme Beauvillier. Rien que sur le dernier semestre, les sommes placées avaient perdu plus de 15 % de leur valeur. En recroisant les documents, Blake s’aperçut que les plus anciens ne dataient que de quelques semaines. Où étaient les autres ?

Il ajusta ses lunettes et, sur la pointe des pieds, inspecta la pièce. Le secrétaire ne contenait que des livres, des catalogues et des agendas des années passées. L’armoire était pleine à craquer de vieilles cassettes vidéo, de DVD et d’une collection de bibelots hétéroclites sans doute rapportés de voyages à l’étranger. Malgré un examen minutieux, l’antichambre ne révéla rien de plus.

Déterminé à obtenir des réponses, Andrew s’introduisit dans la chambre. Les rideaux étaient tirés. Il se figea : dans la pénombre, il avait cru entrevoir une silhouette. Il resta un instant tétanisé avant d’allumer la lumière. Accrochée à un paravent, une chemise de nuit attendait, suspendue sur un cintre.

Blake était conscient de braver un interdit en pénétrant dans cette pièce, mais à ses yeux, la nécessité de savoir justifiait son acte. Pour être tout à fait honnête, il ne faisait pas que chercher l’endroit où Madame rangeait ses papiers officiels. En s’immisçant dans ce lieu intime, il comptait aussi en apprendre davantage sur elle, et cet aspect l’intéressait beaucoup.

Face au lit fait, sur une belle commode ancienne, trônait une télévision à écran plat presque aussi large que le meuble. À gauche du lit, sur l’unique table de nuit, près d’un radio-réveil aux chiffres bleus lumineux, Madame avait placé le vase contenant le bouquet rapporté de la roseraie. Cette mise en valeur lui parut assez paradoxale étant donné le peu de cas qu’elle en avait fait lorsqu’il le lui avait offert de la part de Philippe.

En fait de meubles susceptibles de receler des documents, la pièce ne contenait que la commode, une armoire, une bibliothèque murale et un placard encastré dans le mur. Blake commença la fouille par la commode, mais en tombant sur les dessous de Madame, il choisit de ne pas s’attarder. Le dernier tiroir contenait des lettres classées par taille et des dessins d’enfant. L’armoire était remplie de piles de vêtements étrangement répartis non pas par type, mais par couleur. La bibliothèque était pleine à ras bord d’une alternance de volumes reliés de belle facture voisinant avec des ouvrages plus récents sans grand intérêt. Le placard encastré contenait des robes et des tailleurs suspendus, et quelques boîtes de chaussures.

En voyant un chiffre changer sur le radio-réveil, Andrew prit conscience que le temps filait. Il n’avait toujours rien trouvé de significatif. Quelque chose clochait dans cette histoire de papiers. Blake rassembla ses idées. Madame devait forcément garder ses documents dans ses appartements. Il connaissait désormais assez bien la demeure pour savoir qu’il n’existait nul endroit où des archives étaient entreposées, à part peut-être la cave où personne ne mettait jamais les pieds. Il se trouvait dans l’unique pièce où Madame passait du temps, la seule où Manon n’avait pas le droit de faire le ménage. Peut-être ces documents étaient-ils tout simplement rangés dans les boîtes à chaussures aperçues dans le bas du placard encastré ? Il l’ouvrit à nouveau et s’agenouilla pour soulever les couvercles. La première boîte contenait deux paires d’escarpins. Celle d’à côté, des bottines. Il soupesa les autres, mais elles étaient trop légères pour contenir des papiers. En remettant les boîtes en place, Andrew eut soudain l’impression que le fond du placard avait bougé. Il passa la main entre les vêtements pour aller sonder la paroi. Lorsque ses doigts rencontrèrent le bois, il appuya et, à sa grande surprise, le panneau pivota comme une porte. Les mains de Blake se mirent à trembler. Son cœur battait à tout rompre. Il repoussa légèrement le battant. L’ouverture donnait sur un espace noir comme la nuit, bien plus vaste qu’un compartiment secret.

C’est alors qu’il entendit la cloche d’appel tinter à toute volée. Il se releva tellement vite qu’il se cogna violemment contre l’étagère haute. Il se dépêcha de remettre les cintres et les boîtes en ordre et sortit de la pièce aussi vite qu’il le pouvait.

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