Quand Hélène pousse la porte de la boutique de ses parents, une femme est dans la cabine d’essayage, sa mère agenouillée devant elle, marquant l’ourlet de sa robe. Son père est derrière la caisse, il étouffe un cri lorsqu’il voit sa fille.
Hélène lui ment. Les cancres mentent. Le mensonge est leur seconde peau. C’est pour cela qu’ils ont plus d’imagination que les autres. Elle dit à son père que des élèves lui ont bandé les yeux et l’ont obligée à avaler des craies. Qu’elle ne veut plus jamais retourner à l’école, que tout le monde est cruel et que ça ne sert à rien de la forcer. Elle travaillera à l’atelier. Elle sera sage. Et s’il refuse, elle se tuera.
Elle laisse ses parents débattre dans son dos, prendre une décision. Elle sait très bien ce qu’ils vont se dire. Elle a déjà surpris des conversations murmurées :
« Monsieur Tribout dit qu’elle n’aura jamais son certificat d’études… Même en redoublant… Elle n’y arrivera jamais… Elle ne sait même pas lire l’heure… à neuf ans… »
En montant l’escalier qui mène à sa chambre, Hélène sent la mouette bouger à l’intérieur de sa poche. Elle la touche, elle est toute chaude. Son cœur bat normalement. Ses ailes ne sont pas cassées. Hélène la nourrit avec du pain trempé dans du lait. Elle n’a jamais rien vu d’aussi beau que cet oiseau blanc au bec orange. Même les arbres sont moins jolis. Même les robes de mariée. Même la comtesse qui vient parfois à l’atelier dans sa belle voiture, avec des jambes superbes et un visage de poupée. Aucun paysage. Rien n’est plus beau que cet oiseau. Hélène ouvre la fenêtre de sa chambre pour le libérer.
– Toi qui touches le ciel, est-ce que tu pourrais demander à Dieu de guérir mes yeux et de m’apprendre à lire, s’il te plaît ?
L’oiseau s’envole et fait des cercles. La pleine lune le fait briller comme une énième étoile.