En 1935, Lucien et Hélène achètent le café du père Louis qui le leur cède pour une bouchée de pain. Ils n’en changent pas le nom. Se disant que ça ne sert à rien puisque c’est ainsi qu’il s’est toujours appelé. Changer le nom de ce café, ce serait comme rebaptiser un vieil homme qui a ses habitudes. Ils repeignent les murs, voilà tout.
La salle de café est lumineuse, on y accède par une porte en bois vitrée dont le verre dépoli est teinté de rouge, de bleu et de vert. Deux grandes fenêtres donnent sur une rue et une autre sur la place de l’église romane. Le sol est fait de planches en bois sombre. Quatre colonnes recouvertes de miroirs renvoient des images en kaléidoscope des clients accoudés au bar en zinc.
Derrière le comptoir, une petite remise aveugle sert de débarras. À droite, quatre marches conduisent à une pièce qui fait office de cuisine et de salle de bains parce qu’il y a un évier, un fourneau, une table et deux chaises.
Depuis cette pièce, une échelle de meunier mène à un étage où une chambre est sommairement aménagée.
Hélène apprend par cœur le nom des alcools à servir. Comme elle ne peut pas se référer aux noms écrits sur les bouteilles, elle se repère aux dessins sur les étiquettes, à la couleur des liquides et à la forme des bouteilles.
Au début, ce sont les clients qui lui expliquent dans quel verre servir le Byrrh violet, le Saint-Raphaël, l’Amer Cabotin, l’Eau d’Arquebuse, le Dubonnet, la gentiane, le vermouth, le cherry, le pastis Olive, la Malvoisie Saint-André.
Aucun client ne triche avec les quantités, le prix à payer ou la contenance des verres. On compte même de nouveaux consommateurs de limonade et d’orangeade parmi les habitués et les piliers de bar, la couleur des yeux d’Hélène attirant la jeunesse du village comme de l’absinthe.