Dans le jardin attenant à la maison, Lucien respire une grosse rose rouge. C’est l’odeur qu’il préfère, elle lui rappelle sa mère.
Chaque matin, Emma nettoyait son visage avec un coton imbibé d’eau de rose qu’elle préparait elle-même. Elle recueillait les pétales à l’automne et les laissait macérer toute l’année dans une cuvette en émail blanc. Quand sa fiole était vide, elle la plongeait à l’intérieur de la cuvette pour la remplir à nouveau du liquide embaumant.
Parfois, Lucien trempait ses mains et ses avant-bras dans le liquide gluant. Quelques morceaux de pétales déchiquetés se collaient sur ses poils, comme des étoiles ratatinées. Son père remarquait tout de suite qu’il s’était parfumé. On ne peut rien cacher à un aveugle. Même le mensonge a une odeur. Son père lui disait, Ce sont les filles qui se parfument, pas les garçons.
Sa mère lui manque.
Lucien ouvre les yeux et observe le rouge de la rose. Elle a la couleur du sang. Est-ce cette couleur qui lui donne ce merveilleux parfum ? Est-ce que le sang qui coule dans les veines de sa mère a l’odeur des roses ?
A-t-il vraiment ses yeux ? Ceux de quelqu’un qui part ? Lucien pense que sa mère les a quittés lui et son père parce que ce n’est pas une vie de vivre auprès d’un aveugle. Qu’un jour ou l’autre, on a forcément envie de vivre avec quelqu’un qui vous regarde.