Edna ne ressent rien. Elle n’a ni chaud ni froid.
Elle a repris le train de 14 h 03 pour Paris. Elle vient d’abandonner Rose, Lucien et son sac au café du père Louis.
Tout est rentré dans l’ordre.
D’une heure à l’autre, voilà Edna veuve et sans enfant.
Veuve d’un homme qui n’a jamais existé.
Un enfant sans mère est un orphelin. Mais comment appelle-t-on une mère sans enfant ? Mère d’un enfant qui n’est pas le sien.
Edna a aimé un homme qu’elle a emprunté à la vie. Pendant quelques années, elle a passé le chiffon sur les empreintes d’une autre, sans jamais réussir à les effacer. À présent, elle va purger sa peine.
Étrangement, Edna n’est ni triste ni heureuse. Elle est remplie d’air. Comme ce ballon que Rose tenait par une ficelle il n’y a pas longtemps à la fête foraine. Vide de sentiments.
En pensant aux yeux clairs de sa fille, il lui semble qu’une larme coule sur sa joue et qu’elle finit sa course sur l’ourlet de sa lèvre supérieure. Edna l’avale. Un ballon à l’intérieur duquel coule une larme.
Quand elle arrivera à Paris, et qu’elle descendra du train, elle coupera la ficelle qui la retient ici-bas et s’envolera très loin. Non sans avoir au préalable remercié le ciel de lui avoir fait un si beau cadeau, un jour, gare de l’Est.