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Je rentre dans la chambre de Jules. Il joue en ligne. Il ne m’entend pas, il a son casque sur la tête. Je le regarde dézinguer des officiers allemands. Enfin, je crois qu’ils sont allemands. Je finis par lui taper sur l’épaule. Il sursaute. Se retourne. Enlève son casque.

– Il faut que tu me fasses des recherches sur le Net.

– Tout de suite ?

– Je cherche une date. Tape, Kommando Dora. Kommando avec un K. Dora comme Dora l’exploratrice.

– Qu’est-ce que c’est que ça ?

– Une usine souterraine créée par les nazis. Leurs prisonniers fabriquaient des fusées.

Jules me regarde comme s’il n’avait pas compris.

– Pourquoi tu fais des recherches là-dessus ?

– Parce que je connais quelqu’un qui a été déporté là-bas en décembre 1943.

– Qui ?

– Tu connais pas. Il a fait partie du convoi de Compiègne en décembre 1943.

Jules ne cherchera rien sans que je lui donne des explications.

– Lucien Perrin, l’amoureux d’Hélène Hel, est resté dans un camp de transit qui s’appelait Royallieu. Ensuite, il a été déporté à Buchenwald.

Jules tape « Kommando Dora ». Nous voyons la liste des déportés et des déportations.

– 14 décembre 1943. Le convoi est arrivé deux jours après à (il a du mal à prononcer) Buchenwald.

– Oui. Et de Buchenwald, il a été immédiatement déporté dans l’usine souterraine de Dora.

Jules lit les lignes qui résument les conditions de vie là-bas. Jamais le ciel du jour.

Il y a du silence entre nous. La dernière fois qu’il y en a eu, du silence entre nous, c’est quand nos enceintes sont tombées en panne.

Tout à coup, on entend des détonations dans son casque audio. Celles de son jeu vidéo Faces of War.

– Lucien savait tout faire dans le noir. Il a sûrement mieux supporté l’obscurité que les autres prisonniers.

Jules ne semble pas me croire.

– Mais ces prisonniers… ils sont presque tous morts. Comment il aurait fait pour s’en sortir ?

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