On a parlé des Hortensias à la télé à cause du corbeau. Dans le journal télévisé de France 3 Régions. Celui que pépé ne rate jamais et regarde chaque soir, le son poussé au maximum.
Une équipe de tournage a débarqué hier matin.
Toutes les infirmières s’étaient maquillées, Jo et Maria étaient allées chez le coiffeur et madame Le Camus portait une robe fuchsia. Exit les blouses, on se serait cru au festival de Cannes. Même les résidents étaient sur leur trente et un. Madame Le Camus nous avait demandé de « soigner leurs toilettes ».
La journaliste a choisi deux résidents à interviewer, un homme et une femme, monsieur Vaillant et madame Diondet. Ce qui a provoqué quelques jalousies parmi les autres : Pourquoi eux et pas nous ? Monsieur Vaillant n’est pas une « victime », contrairement à madame Diondet.
Avant de choisir, la journaliste s’est assurée qu’ils n’avaient pas trop perdu la boule. Nom, prénom, date et lieu de naissance, nombre d’enfants et métier exercé avant la retraite. Puis elle leur a poudré le visage, le cou et les mains. Monsieur Vaillant n’en revenait pas. Et tous les autres se sont gentiment moqués de lui.
Ensuite, le preneur de son a caché un micro dans leurs vêtements. Ils n’osaient plus bouger, c’était très drôle.
La journaliste a commencé à leur poser des questions. Elle les a posées en parlant très fort et en articulant exagérément.
Je déteste les gens qui s’adressent aux personnes âgées comme si c’étaient des demeurés.
Elle a « tenté d’analyser les souffrances psychologiques infligées par ce corbeau aux résidents ».
Monsieur Vaillant a répondu qu’il s’en foutait complètement et qu’il n’était pas sourd.
Ensuite, la journaliste a « tenté de comprendre les conséquences néfastes du traumatisme engendré au sein des familles impactées ».
Madame Diondet, en tant que victime, a répondu qu’elle se sentait plutôt bien à part quelques douleurs dans les jambes.
Enfin, tous les résidents ont été filmés les uns à côté des autres et l’équipe de tournage est partie.
Monsieur Vaillant m’a immédiatement demandé de lui enlever son maquillage. Il a poussé des cris d’horreur quand je lui ai passé le coton démaquillant sur la figure.
Ce soir, pendant la retransmission du journal télévisé, tous les résidents étaient dans la salle de télé et ont beaucoup ri quand ils se sont vus. Madame Diondet m’a confié qu’elle avait pris un sacré coup de vieux, elle a trouvé que la télé était plus méchante que le miroir de sa salle de bains.