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— Jean-Michel, pourriez-vous m’offrir une de vos confiseries pour que je fasse un tour de magie à Théo ?

L’homme à la canne fouilla dans sa poche et tendit une fraise à Chantal.

— Merci. Et maintenant, mon grand, regarde bien… Je te parie que je peux manger ce bonbon sans le mettre dans ma bouche. Ça te tente ?

Aussi intrigué que fasciné, le petit approuva d’un vif hochement de tête. Chantal se détourna alors de l’enfant, prépara son coup, puis brusquement, se replaça face à lui, la sucrerie dans une main et son dentier dans l’autre. Avec un grand sourire édenté, elle fit claquer ses dents avec ses doigts en disant d’une voix déformée :

— Miam miam ! Mes chicots se sont échappés et ils vont dévorer le gros bonbec !

Instantanément, le garçon se mit à hurler, les yeux exorbités. Francis leva le nez de son journal.

— Bravo Chantal ! J’ai hâte de voir quel tour tu lui feras quand tu auras un anus artificiel.

Le cri aigu de l’enfant ne semblait pas vouloir s’arrêter. Il était terrifié. Pauline déboula de la cuisine en s’essuyant les mains sur son tablier.

— Qu’est-ce que vous êtes encore en train de fabriquer ? Je ne peux même pas vous laisser seuls dix minutes.

Découvrant Chantal avec son dentier et son bonbon, elle soupira :

— Et c’est quoi cette fois ? La fable de la fraise magique et du vampire qui a perdu sa couronne ?

Théo se précipita vers sa mère et s’agrippa à elle. Ses grands yeux épouvantés fixaient toujours Chantal avec un mélange d’effroi et de dégoût.

— Tout va bien, mon chéri, ce n’est rien. Parfois, quand les gens vieillissent, on leur remplace des morceaux et ça peut se démonter.

Francis se pencha vers Théo et lui souffla :

— Un conseil d’homme à homme : quand tu auras notre âge, n’essaie pas de te démonter la hanche ou le pacemaker. Quoique, maintenant qu’on en parle… J’ai connu un type qui avait confondu son appareil auditif miniature avec un suppositoire. Le fait est qu’il n’a rien entendu pendant des jours.

Théo resserra son emprise autour de sa mère jusqu’à l’empêcher de respirer.

— Tout va bien, chéri. M. Lanzac plaisante. Et vous, arrêtez de le traumatiser, il va encore saigner du nez.

— J’ai entendu crier, dit le docteur en arrivant précipitamment. Tout va bien ?

— Ne vous en faites pas, doc, répondit Francis. C’est Chantal : quand elle a fini de dire des conneries, elle en fait.

En découvrant Théo, Thomas s’agenouilla pour se placer à sa hauteur.

— Bonjour jeune homme. Je ne savais pas que tu étais là. Très heureux de te rencontrer. Je m’appelle Thomas. Je travaille avec ta maman…

— … dans cet asile de dingues ! précisa Francis.

Le docteur tendit la main à l’enfant mais le petit ne lâcha pas sa mère.

— Je suis désolée, dit Pauline. D’habitude, il n’est pas sauvage et il n’a pas non plus ce regard de drogué. Il a juste vu un truc qui va lui coûter des mois de thérapie.

— Nous ferons donc connaissance plus tard, quand ce sera le bon moment.

Incapable de faire lâcher prise à son fils, Pauline repartit vers la cuisine, avec l’enfant cramponné à elle comme un koala.

— J’arrive, Hélène, lança-t-elle. On va peut-être enfin pouvoir finir de préparer ces cookies…

— Françoise n’est pas avec vous ? fit Thomas en se redressant.

Ayant achevé de remettre son dentier en place avec l’air d’une gamine honteuse, Chantal précisa :

— Elle reste souvent seule dans sa chambre. Pourtant elle aime bien Théo.

Puis elle mangea la fraise. Dans sa bouche.

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