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— Alors Michael, l’avez-vous retrouvé ?

— Je l’ai, mais je ne sais pas si c’est une bonne idée…

— Il n’y a qu’en tentant le coup que nous le saurons. Ne vous en faites pas. Parlez simplement, expliquez ce qui s’est passé et dites ce que vous ressentez. Tous ces personnages d’opéra à qui vous donnez vie finissent par le faire dans leur grande scène. D’Artagnan le ferait aussi.

— Je n’ai pas le courage d’un mousquetaire du Roi.

— Vous en avez l’intégrité. Installez-vous dans mon bureau, je vous laisse tranquille, et appelez votre mère.

Attila restait collé à Michael, comme si l’animal devinait le mal-être du jeune homme.

— Et si elle refuse de me parler ?

— Et si elle en était folle de joie ?

— Monsieur Sellac, j’ai peur.

— Je sais, et c’est pour cela que je me permets d’insister. Je préfère encore vous inciter à prendre le risque plutôt que de continuer à vous voir malheureux comme vous l’êtes.

Thomas accompagna Michael jusqu’à son siège et lui confia son téléphone tout neuf. Attila, étonnamment calme, se coucha aux pieds de son maître.

— Prenez tout votre temps. Je vous attends dans le salon. Venez me retrouver lorsque vous aurez fini.

— Docteur…

— Michael, ce n’est plus à moi que vous devez parler. Je devine ce que vous ressentez. N’ayez pas peur. Lancez-vous. Composez ce numéro. Quoi qu’il advienne, vous aurez eu raison d’essayer.

Pour lui souhaiter bonne chance, le docteur pressa l’épaule du jeune homme, puis il sortit et referma derrière lui.

Thomas resta un moment près de la porte à écouter, mais il n’entendit rien. Ni Michael ni le chien ne faisaient le moindre bruit. De toutes ses forces, le docteur espérait que le jeune homme ne renoncerait pas devant l’épreuve. Pourvu que sa mère décroche et qu’elle l’accueille comme il en avait besoin… Quel que soit notre âge, on reste toujours les enfants de quelqu’un, et les bras qui s’écartent sont les plus belles portes qui puissent s’ouvrir.

Le docteur eut l’impression d’entendre Michael renifler. « Pleure, mon gars, pleure. Mais compose ce numéro. »

Pour attendre, Thomas finit par s’asseoir dans le couloir, à même le sol. Aux premiers mots qu’il entendrait, il s’en irait. Il savait que ces instants étaient cruciaux pour Michael. Soit il surmontait, soit il renonçait. En cas de succès, il renouerait le contact avec les siens, et sans doute avec lui-même. Si la tentative échouait, il en ressortirait encore plus seul. Il devait oser composer le numéro, puis trouver la force de dire. Il fallait qu’il rencontre ensuite une écoute, et peut-être une main tendue. Une course d’obstacles dans laquelle chaque haie devait être franchie, sans garantie que les suivantes le seraient. Autant d’occasions de tomber. Au poteau d’arrivée, peut-être le bonheur.

La porte de la chambre de Francis s’ouvrit tout doucement. En dressant son index devant sa bouche pour assurer de son silence, le Colonel s’avança sur la pointe des pieds et vint s’asseoir, non sans difficulté, à côté du directeur.

— C’est pas humain d’obliger un vieillard de mon âge à se contorsionner ainsi, maugréa-t-il.

Puis il donna un coup d’épaule à Thomas et lui glissa, toujours à voix basse :

— Je suis fier de toi, fiston. Tu as raison de le pousser à téléphoner. Même si ça risque de te bouffer ton forfait.

Michael ne faisait toujours aucun bruit. La porte de Chantal s’ouvrit à son tour, en toute discrétion.

— Alors ? murmura-t-elle. Ça y est ? Il lui parle ?

Thomas n’en revenait pas. Il grommela :

— Donc si je comprends bien, tout le monde écoute tout, ici ?

— Doc, à nos âges, on a peur des fuites de gaz, des vautours qui planent au-dessus de nos têtes, et des vers qui rampent pour venir nous grignoter. Alors à force de tendre l’oreille pour les détecter, on finit par capter des choses.

« Allô, maman ? C’est toi ? Ici c’est Michael, ton fils. »

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