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La petite troupe n’eut pas le loisir de savourer le numéro qu’elle venait de donner car cette fois, Frankenstein avait bel et bien pris la foudre.

Lorsque le Samu arriva, Jean-Michel était inconscient et Thomas, trouvant son pouls trop faible, avait préféré pratiquer un massage cardiaque. Pour la première fois depuis son retour, il était allé chercher sa trousse d’urgence.

Lorsque les secouristes évacuèrent le blessé de sa chambre, les résidents l’attendaient tous dans le hall, formant une triste haie d’honneur. Chantal tenait le bras d’Hélène pour la soutenir, l’une toujours habillée de ses sacs et l’autre avec ses vêtements à l’envers. En voyant le corps étendu passer devant elle, Hélène détourna le regard. Tout ce qui lui donnait l’impression de revivre la récente perte de Mme Berzha était au-dessus de ses forces. Françoise, le teint encore plus blafard que son maquillage, et Francis s’agrippaient l’un à l’autre tellement le choc était rude pour eux. Voir leur ami inerte sous son masque à oxygène était un spectacle plus que douloureux. Tous deux savaient qu’à son âge comme au leur, partir à l’hôpital revient souvent à partir tout court.

Au passage de la civière, Chantal caressa la main de Jean-Michel et demanda à l’urgentiste :

— Il va s’en sortir ?

— Trop tôt pour le dire. Mais ne vous en faites pas, on va prendre soin de lui.

Au toucher, la main de M. Ferreira était encore chaude. Chantal se sentit rassurée. Tant qu’il y a du chauffage, c’est que quelqu’un habite encore dans le corps. Les gens qui s’en vont coupent la chaudière.

Le groupe sortit dans la rue pour accompagner le blessé jusqu’au véhicule d’intervention. Le nounours géant de la façade, illuminé par les lueurs bleutées des gyrophares, semblait lui aussi très inquiet. Les urgentistes chargèrent le brancard dans un cliquetis métallique. Pauline était sans doute celle dont l’émotion était la plus évidente.

— Qu’est-ce qui lui a pris ? demanda-t-elle à Thomas.

Le médecin saisit doucement le visage de l’infirmière et l’obligea à le regarder.

— Pauline, je pars avec lui. Je ne le lâche pas. Je vous confie la maison. Vous allez pouvoir vous arranger pour Théo ?

— Sans problème. Prenez soin de lui. Je vais m’occuper de ceux qui restent.

Thomas monta dans le fourgon à côté du brancard.

— Je vous donne des nouvelles dès que possible.

Le chauffeur referma la porte arrière. Le docteur prit la main inerte de Jean-Michel.

L’ambulance démarra au moment où Michael rejoignait le groupe dans la rue. Ils étaient tous blottis les uns contre les autres. Les voir s’éloigner à travers le hublot rappela à Thomas l’image du village rapetissant dans la lunette arrière de la voiture qui le conduisait à l’aéroport. Il éprouva aussi quelque chose qu’il n’avait jamais ressenti auparavant.

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