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— Bienvenue, je suis le docteur Sellac, je dirige cet établissement.

— Merci de me recevoir. Romain Mory, je viens pour l’appart à louer.

— Romain Mory… Ah oui ! Ça me revient. Vous savez, on a reçu tellement de monde pour ce logement… Mais vous nous avez été chaudement recommandé.

La poignée de main n’était pas décevante. Le docteur la jugea même d’excellent augure. En traversant le hall, Romain ne manqua pas de remarquer les charmants animaux peints sur les murs.

— C’est une garderie ?

— Une ancienne crèche, reconvertie en résidence pour séniors.

Pour éviter que les pensionnaires ne tombent sur Romain, Thomas l’entraîna rapidement jusqu’à l’escalier. Une fois en haut, il expliqua plus sereinement :

— Les résidents ne montent jamais à cet étage. Je serai votre seul voisin et vous aurez un accès direct vers l’extérieur. Vous pourrez aussi profiter du grand jardin qui se trouve derrière. Il s’étend jusqu’à la rivière.

Au moment d’ouvrir la porte du logement tout juste briqué, Thomas se sentait encore plus stressé que lorsqu’il avait passé sa soutenance de thèse devant un jury peu réceptif. Il abaissa la poignée comme s’il sautait dans le vide.

— Nous y voilà.

Le docteur invita le jeune homme à franchir le seuil. Il nota avec plaisir que le garçon essuya spontanément la semelle de ses chaussures sur le paillasson.

Romain fit consciencieusement le tour, jeta un œil par la fenêtre, passa la main sur le plan de travail du coin cuisine et termina par la chambre. Avait-il remarqué le petit bouquet que Pauline avait posé sur le comptoir pour faire plus vivant, et la guitare récupérée que Thomas avait exposée sur le haut de la bibliothèque pour faire plus jeune ?

— C’est très lumineux, commenta le jeune homme. La chambre est suffisamment grande pour un lit double.

L’esprit de Thomas s’emballa aussitôt.

— Sur l’annonce, répliqua-t-il en maîtrisant sa voix, nous avions pris soin de préciser que le logement convenait pour un célibataire…

— Ça colle, je ne suis pas marié. Mais un lit double est plus confortable.

Romain prit une inspiration avant d’aborder le cœur du sujet :

— Et pour le loyer ?

Le docteur savait que sa réponse allait être décisive.

— L’idée n’est pas de gagner de l’argent, mais de faire vivre cet endroit. Ce n’est pas un logement conventionnel, on est dans ce qui ressemble à une maison de famille. On vous demandera peut-être un petit coup de main de temps en temps, mais rien de contraignant. Que diriez-vous de trois cents par mois ?

Le jeune homme eut beaucoup de mal à cacher son étonnement face à cette bonne surprise. Il regarda autour de lui, soudain plus détendu.

— Ce n’est pas cher, concéda-t-il. Mais je préfère être honnête : si rendre service ne me gêne pas du tout, mon boulot me prend pas mal de temps.

— Nous nous arrangerons. Dans quel domaine exercez-vous ?

— L’informatique. Programmeur et installateur de réseaux. Je suis en CDI. J’ai apporté mes bulletins de paye.

— Je préfère me fier à votre parole plutôt qu’à des documents auxquels je ne comprends rien. La vraie question qui se pose en premier lieu est de savoir si vous êtes intéressé par cet appartement.

Le jeune homme parcourut à nouveau les pièces, en s’aventurant cette fois à ouvrir quelques placards. Mine de rien, il prenait déjà ses marques. Thomas était de moins en moins inquiet. De toute façon, depuis l’annonce du montant du loyer, le docteur sentait que la décision de Romain était prise. Les jeunes mâles ne font pas illusion devant leurs aînés.

— Je me vois bien vivre ici, si mon profil vous convient. Pour vous rassurer, je peux même vous régler quelques mois d’avance.

Le docteur allait bientôt revoir ses billets… Il prit son temps pour faire semblant d’hésiter en ayant l’air de peser le pour et le contre. Le candidat, qui maintenant voulait y croire, n’en menait pas large.

— Vous vous appelez Romain, c’est ça ?

— Oui, monsieur.

— Vous m’avez l’air d’un garçon sérieux. Je vais vous faire confiance. J’aime l’idée de donner un coup de pouce à un jeune. C’est votre premier logement, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur.

— Alors je vous donne mon accord.

— Merci, monsieur !

— Quand souhaitez-vous emménager ?

— Dès que possible. Le temps d’acheter quelques meubles et un frigo.

— Parfait. Allons signer les papiers dans mon bureau.

Bien que ce soit pour des raisons très différentes, chacun des deux hommes avait envie de hurler de joie, en faisant des bonds partout et en embrassant l’autre. Mais Thomas et Romain se contentèrent d’un de ces rictus que font les héros victorieux dans les séries que regardait Francis.

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