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Le docteur n’avait pas croisé l’infirmière depuis l’aide à la toilette des résidents. Il souhaitait pourtant lui parler d’un sujet délicat. C’est en jetant un coup d’œil par la fenêtre de la salle commune qu’il l’aperçut dans le jardin. Il sortit la rejoindre.

— Alors Pauline, vous profitez du bon air ?

Elle lui désigna un périmètre délimité par des piquets de bois.

— Notre futur potager. Qu’en dites-vous ? On aura la place de circuler autour et il n’est pas trop grand. J’ai bien pensé l’installer sous la fenêtre d’Hélène, près du parterre de fleurs là-bas, mais elle ne veut pas que l’on s’en approche. Dommage. L’exposition était parfaite et le mur aurait renvoyé la chaleur et la lumière. Ce n’est pas grave.

Thomas s’accroupit et arracha une mauvaise herbe. Il étudia la terre restée prise dans les racines. Sombre, riche, sans doute très fertile. Rien à voir avec le sol argileux et gavé de caillasses des terrasses d’Ambar. Le médecin observa :

— L’automne sera bientôt là, vous ne pourrez pas planter grand-chose en cette saison.

— Cela nous laisse tout le loisir de préparer les sols pour le printemps prochain. Il y a beaucoup à faire.

— Je pourrai vous aider à bêcher.

— Vous savez aussi faire ça ?

— Encore mieux que le reste.

— Un vrai héros, c’est ce que j’ai toujours dit.

Satisfaite de pouvoir compter sur Thomas, Pauline parcourut le périmètre du potager à grands pas. En passant près du docteur qui se tenait sur le bord, elle le frôla en le dévisageant. Sans aller jusqu’à s’écarter, il en fut troublé.

— Dites-moi, Pauline, se reprit-il, seriez-vous contre le fait d’accueillir un nouveau pensionnaire ?

— À la place de Mme Berzha ?

— J’envisageais plutôt quelqu’un dans l’appartement inoccupé du premier.

Pauline s’arrêta et plaça sa main en visière pour regarder le docteur à contre-jour.

— C’est vous le patron. Vous n’avez à me demander ni mon avis ni ma permission.

— Je vous les demande pourtant.

— Sans effaroucher l’homme rustre, est-il possible de savoir d’où viendrait le ou la pensionnaire ?

— Le petit ami d’Emma cherche un logement. Je me suis dit que…

Pauline émit un son qui tenait du hurlement du loup sous la lune.

— Vous croyez que ce serait une erreur ? s’inquiéta Thomas.

— Je pense surtout que c’est très dangereux. À force de vouloir vous rapprocher de votre fille, vous prenez de gros risques et vous allez finir par vous griller. Croyez-en une spécialiste des plans hasardeux, on peut vite se retrouver dans une situation intenable. Docteur, c’est le moment de vous poser des questions. Pourquoi voulez-vous héberger ce garçon ? Pour le surveiller ou parce qu’il serait un appât pour faire venir Emma ?

— Il est vrai que garder un œil sur lui m’arrangerait, mais je souhaite aussi l’aider.

— Et si elle emménage avec lui ?

— Là, ça deviendrait effectivement compliqué. Je l’aiderais à trouver un autre logement.

— Et si en l’hébergeant, vous découvrez que ce jeune homme ne vous plaît pas du tout ?

— Mon but n’est pas de le juger… De toute façon, je ne suis pas inquiet. Même s’il manque encore de maturité, je sens que c’est quelqu’un de bien.

Pauline s’approcha du docteur en le regardant au fond des yeux. Celui-ci, mal à l’aise, se demanda ce qu’elle allait faire, mais il ne pouvait décemment pas reculer sous peine de passer du statut de puceau coincé à celui de petit garçon qui a peur des filles. Allait-elle lire son esprit jusqu’au tréfonds de son âme, ou bien lui dégrafer un nouveau bouton ? Son col était pourtant grand ouvert. Elle agita son index sous son nez comme si elle le sermonnait.

— Vous êtes un sacré loulou, monsieur Sellac. J’espère que vous savez ce que vous faites parce que…

Un coup de feu claqua dans le verger, immédiatement suivi d’un tintement de métal. Cette fois, Thomas ne sursauta pas. Pauline, si. Trop content de trouver une échappatoire, le docteur déclara d’une voix calme :

— Francis a sorti l’artillerie. Je vais lui rendre visite. L’homme rustre peut-il envisager d’évoquer plus tard ce qu’il convient de faire avec sa bonne conscience ? Ce midi par exemple ?

Pauline, impressionnée par sa maîtrise de lui-même, se contenta de hocher la tête et de le regarder s’éloigner.

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