93

La première moto fut bientôt rejointe par une demi-douzaine d’autres. La bande mit pied à terre. Avec l’agilité de leur âge, les jeunes gens escaladèrent facilement la grille de l’usine. Ils riaient déjà.

— J’en compte neuf, annonça Thomas à voix basse.

— Il faut découvrir qui est le meneur du groupe, murmura Francis. Si on le neutralise, les autres seront désorganisés et fragilisés.

La horde s’avança sur l’esplanade et s’amusa des obstacles dérisoires placés sur leur chemin. À coups de pied, ils firent tomber les assemblages de tôles et de grillage. Trois d’entre eux traînèrent une imposante pièce métallique hors du passage.

— Petits gredins…, grogna Jean-Michel. Regardez avec quelle aisance ils la déplacent alors qu’on a eu tant de mal à l’amener.

Le raclement sur le béton résonna dans la nuit. Attila se mit à japper.

— Tu es là, gardien ? lança l’un des casseurs.

Silence.

— Tu ne réponds pas ? Ton chien, lui, ouvre sa gueule ! Aurait-il plus de courage que toi ?

Francis glissa à ses comparses :

— Foulard noir, veste en jean. Sans doute leur chef. Ne le perdez pas de vue.

L’un des jeunes ramassa une barre de fer qu’il s’amusa à traîner sur le sol. Attila aboya de plus belle.

— On t’avait dit qu’on reviendrait. On a tenu parole. On t’avait promis qu’on mettrait le feu et on va le faire aussi ! Si tu ne veux pas griller comme un rat dans son trou, je te conseille de te sauver et d’abandonner la place !

— Dégage ! hurla un autre garçon d’une voix aiguë.

Francis se tourna vers ses compagnons.

— Je vais sortir. N’intervenez que si je suis à terre. Compris ?

Le Colonel n’attendit pas la réponse. Il glissa son fusil dans son manteau et ouvrit la porte. Sa silhouette se dessina dans la clarté des projecteurs.

D’un pas mesuré mais décidé, il s’avança sur le parvis. Les assaillants, aveuglés par la lumière, ne comprirent pas immédiatement qu’il ne s’agissait pas de leur souffre-douleur habituel.

— Te voilà donc, gardien.

— Messieurs, vous êtes sur une propriété privée. Si vous ne voulez pas de problèmes, partez immédiatement.

— Regardez ça, les gars ! Ils nous ont envoyé Terminator. Où est l’ancien vigile ? Mort de trouille ?

Les autres ricanèrent.

— Évitons les ennuis. Vous n’avez rien à faire ici. Rentrez chez vous.

Francis avançait régulièrement. Le contre-jour lui offrait l’opportunité de paraître jeune et intimidant. Il s’efforçait d’avoir une démarche stable et plus assurée que d’habitude.

Derrière le meneur, un complice alluma la mèche en tissu d’une bouteille remplie d’un liquide. Francis avait déjà vu cela des centaines de fois lors des entraînements. Thomas aussi, pendant des émeutes. Le Colonel ne changea ni de direction ni d’allure.

Le gamin, excité, lança son cocktail Molotov sur le côté, à une faible distance de Francis. L’explosion illumina la nuit, saluée par les hourras de la bande et les aboiements encore plus virulents d’Attila. Le Colonel sentit la chaleur sur sa joue.

— Bravo, messieurs, concéda-t-il. Joli feu d’artifice. Et maintenant, on remballe et on disparaît avant qu’il y ait des dégâts.

Francis n’était plus qu’à quelques mètres du chef de la bande, et les projecteurs lui permettaient encore de ne pas paraître ce qu’il était. Il progressa vers le meneur, qui ne se sentait pas menacé.

— Tu espères nous arrêter ? fit celui-ci, crâneur. Tout seul ? Tu as plus de cran que l’autre…

Francis était maintenant assez proche de son objectif. Il écarta son manteau vivement, sortit son fusil et le pointa vers le visage du voyou.

— Je ne vais pas te le redire, mon bonhomme. Toi et ta joyeuse bande de petites frappes, vous vous barrez.

Le jeune homme, surpris, leva aussitôt les mains.

— Tout doux, t’excite pas ! Tu vas me coller une balle, et après ? Mes potes vont te mettre en pièces.

— T’es un dur, c’est ça ? Laisse-moi deviner… Tu paries que je ne suis pas capable de tirer, ou tu te crois invincible au point de te prendre un plomb sans broncher ? Quant à tes guignols, tu penses vraiment qu’ils vont se bouger pour toi une fois que ta cervelle étalée dessinera un paysage sur le sol ?

D’un geste d’expert, Francis arma son fusil vide et remit en joue son adversaire. Sa main ne tremblait pas. Le type recula d’un pas.

— Réfléchis bien, gronda Francis. Pour toi, tout ça n’est qu’un jeu ? Tu gagnes parce que tu joues hors des règles, mais c’est moi qui ai le joker dans les mains… Tire-toi et ne remets plus jamais les pieds ici.

La voix de Michael déchira la nuit :

— Attila ! Non !

Le chien avait réussi à se libérer. Il jaillit hors du poste de garde et chargea droit sur les intrus.

La panique s’empara de la bande, qui se mit à courir vers la grille. Seuls Francis et leur chef restèrent immobiles, se faisant toujours face. L’animal accéléra et se jeta sur la première cible qu’il réussit à attraper. Ses crocs se refermèrent sur le tissu du pantalon du fuyard qui, paniqué, fit tournoyer sa barre de fer. Il pivota sur lui-même pour asséner le coup le plus violent possible. Sous le choc, le chien hurla de douleur. La force de l’impact lui fit lâcher prise et l’envoya rouler sur le sol comme un pantin disloqué.

Michael sortit en trombe, Thomas et Jean-Michel sur les talons. Francis enfonça aussitôt son canon dans la joue du caïd.

— Petit connard. Je ne sais pas ce qui me retient de te foutre une balle. Tu ne manquerais sans doute pas à grand monde. Fous le camp. Si je te revois, je te transforme en abruti mort sans sommation.

Le casseur disparut aussitôt dans la nuit avec ses complices.

Загрузка...