81

Thomas remontait le couloir en direction de son bureau lorsqu’une petite voix l’interpella :

— Docteur !

Il se retourna. Mme Quenon le guettait par l’entrebâillement de la porte de sa chambre. Il rebroussa chemin.

— Françoise, si c’est pour m’offrir une robe, je vous assure que c’est inutile.

— L’avez-vous entendu cette nuit ?

— Vous savez bien que je ne peux pas écouter Michael de chez moi.

L’institutrice secoua la tête et désigna l’appartement du dessus. Le docteur réagit :

— Ah ! Vous parlez de Romain et de sa guitare ! Rien entendu non plus. Ces derniers temps, je dors comme une masse.

— Il ne jouait pas. Il est rentré tard, en faisant du bruit. Il a tapé sur quelque chose. Plusieurs fois. À un moment, c’est devenu tellement violent que j’ai cru qu’il se battait avec quelqu’un. Quand ça s’est arrêté, j’aurais juré qu’il gémissait… Tout à l’heure, j’ai perçu d’autres plaintes.

Le docteur vérifia sa montre.

— Vous en êtes sûre ?

— Tout à fait.

Thomas traversa le hall jusqu’à l’entrée de la résidence. Il jeta un œil dans la rue et revint :

— Sa voiture est encore là. Il n’est pas parti au travail. Vous ne bougez pas d’ici, je monte voir.


Fidèle à sa méthode, le docteur toqua doucement d’abord, puis de plus en plus fort.

— Romain, êtes-vous là ?

Aucune réaction. Il frappa plus franchement.

— Monsieur Mory, tout va bien ? Répondez-moi, s’il vous plaît. C’est le docteur Sellac !

Thomas posa la main sur la poignée, hésitant. Se pouvait-il que Françoise ait rêvé et que le jeune homme ait juste pris une journée de congé ? Il risquait alors de le réveiller. Le docteur ne se voyait pourtant pas attendre qu’il émerge enfin pour être rassuré. L’inquiétude montait en flèche.

Un seul moyen pour en avoir le cœur net : il fallait entrer. Si nécessaire, le docteur irait chercher le double de la clé dans son bureau. Mais il n’en eut pas besoin car la porte n’était pas verrouillée.

Un désordre inhabituel régnait dans l’appartement. À peine Thomas eut-il fait un pas dans le salon que, par la porte de la chambre, il aperçut le corps affalé en travers du lit. Romain était étendu, désarticulé, inerte, la tête pendant vers le sol. Le médecin se précipita. Sur la table de nuit, une bouteille de vodka et des somnifères.

Thomas, tremblant, vérifia les signes vitaux. Le pouls battait encore. Alors qu’il lui soulevait une paupière, Romain geignit. Le médecin soupira de soulagement : le jeune homme n’était pas dans le coma.

— Mais qu’est-ce que tu as foutu ? grogna-t-il sans attendre de réponse.

Il redressa le corps pour permettre de décongestionner la tête, puis sortit précipitamment de l’appartement et descendit l’escalier quatre à quatre, à la recherche de Pauline.

L’infirmière était en train d’aider Francis à faire son lit. Le docteur s’efforça de lui parler avec calme :

— Pourrais-je vous voir une minute ?

— On a presque terminé, j’arrive ensuite.

— Navré, Pauline, j’ai besoin de vous tout de suite.

À son ton, elle comprit qu’il était arrivé quelque chose de sérieux et s’excusa auprès de M. Lanzac. Le médecin l’entraîna rapidement à l’étage.

— Pourquoi on monte ? s’étonna-t-elle. Qu’est-ce qui se passe ?

— Romain a fait une tentative de suicide.

Загрузка...