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« Mon cher Kishan,

« J’espère que tu vas bien et que les travaux d’agrandissement de ta maison se déroulent comme tu veux. Creuser dans la montagne ne doit pas être facile, mais au moins, ce sera solide ! Je suis impressionné que tes fils t’aident malgré leur jeune âge. À eux et à toi, je souhaite beaucoup de courage.

« Pour une fois, j’ai moi aussi bien des choses à te raconter. M. Ferreira est enfin rentré de l’hôpital. Tout le monde l’attendait avec impatience. Il n’avait même pas franchi la porte d’entrée que Chantal — notre résidente qui est toute petite et fait des choses bizarres — s’est collée à lui en le serrant dans ses bras. Ainsi accrochée à lui, elle si minuscule et lui si grand, elle ressemblait à une enfant. Le plus surprenant, c’est que Jean-Michel n’a pas bronché, il s’est laissé étreindre aussi longtemps que Chantal l’a voulu.

« Pauline avait préparé beaucoup de gâteaux au citron. Les résidents se sont installés dans le salon, et ont parlé des heures, comme s’ils ne s’étaient pas vus depuis des mois. Ils étaient heureux ensemble. Après avoir redouté le pire, ils se retrouvaient au complet. Je crois que pour chacun, le retour de Jean-Michel a représenté une sorte de victoire sur la mort. Cela m’a rappelé la fois où Amrish avait survécu à l’éboulement du remblai de la route haute. Te souviens-tu de cette fête qu’on avait improvisée au coucher du soleil ? C’était pareil ici, sauf que personne n’a sauté aussi haut, ni bu autant.

« Le soir du retour de M. Ferreira, personne n’a regagné sa chambre pour regarder la télé, et lorsque Pauline a pris congé pour aller rejoindre son fils, tous lui ont fait la bise. Du coup, moi aussi. C’était la première fois. Je crois que j’ai rougi, mais heureusement, tu n’étais pas là pour te moquer de moi !

« Quand j’écris “heureusement que tu n’étais pas là”, ne le prends pas au sérieux. Tout serait bien mieux si toi et les tiens étiez là. Je vais te confier un secret, mon ami. Chaque nuit, je rêve d’un pays imaginaire où ton village se trouverait juste à côté de la résidence. Un lieu magique qui réunirait les deux mondes où je me sens à ma place. Je crois que tu aimerais pêcher dans la rivière qui coule ici, même si elle est minuscule à côté de la Neelum. Ainsi, je pourrais passer d’un univers à l’autre, pour vivre près de tous ceux auxquels je tiens tant, de ma fille à tes enfants, de mes vieux amis un peu dingues à toi qui l’es aussi. J’aimerais également te présenter Pauline. Je crois qu’elle s’entendrait bien avec Jaya. Je devine ce que ton père en dirait, et j’entends déjà sa voix nous ordonner de nous marier !

« Je ne te remercierai jamais assez de m’avoir donné le courage de partir. Même si rien ne se passe comme prévu, tout est pour le mieux. Tu vois, j’adopte de plus en plus votre philosophie. Je ne souffre plus d’avoir quitté Ambar, parce que je sais que j’y retournerai. Tu es avec moi chaque jour.

« Salue ceux du village pour moi. Je vais me coucher alors que tu te lèves bientôt. Je pense à vous.

« Ton frère, Thomas. »

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