Thomas frappa trois coups légers à la porte de Mme Quenon. Avec ses patients, il commençait toujours doucement. Cela lui offrait l’occasion de mesurer leur degré d’écoute et de vigilance. Vis-à-vis des plus anciens, c’était aussi un moyen d’évaluer sommairement leur audition.
— Entrez !
Françoise Quenon avait donc une ouïe excellente.
— Je ne vous dérange pas ?
— Vous m’interrompez en train de ne rien faire, ce n’est donc pas très grave, docteur.
— Pourquoi ne pas vous joindre aux autres dans le salon ? Théo est là, et Hélène et Pauline préparent des gâteaux pour le goûter.
— Il ne doit pas se passer que cela si j’en juge par le hurlement qu’a poussé le petit. À cause de qui va-t-il faire des cauchemars cette fois ?
— Une fraise et un dentier.
— Pauvre gosse. De nos jours, on les effraie avec n’importe quoi. Cela ne se serait jamais passé ainsi avec les miens.
— Vous avez des enfants ?
— Plus de neuf cents, mais je n’ai donné naissance à aucun. J’étais institutrice, et je m’occupais de chacun comme s’il était le mien. Mais j’imagine que vous n’êtes pas venu pour écouter une vieille femme vous raconter sa vie.
— Votre vie et la façon de pratiquer votre métier m’intéressent, mais je suis effectivement là pour vous parler d’un point précis. J’ai étudié vos dernières analyses et même si ce n’est pas ma fonction première dans cet établissement, je pense que votre traitement actuel ne vous est plus adapté. Me permettez-vous d’en parler avec le confrère qui vous suit, puis éventuellement de faire des examens complémentaires ?
— Mes jours sont-ils comptés ? Vous savez, docteur, je n’ai pas peur de la mort.
— Nous n’en sommes heureusement pas là. Il s’agit juste d’adapter la posologie à une évolution.
— Pourquoi pas ? Le médecin qui nous suit nous regarde à peine et renouvelle les ordonnances à la chaîne. Il doit se dire que vu notre âge, il devient inutile de perdre son temps. Il n’a peut-être pas tort. En fin de compte, notre prochain grand rendez-vous, c’est avec la faucheuse…
— Ne soyez pas si sombre.
— Savez-vous pourquoi je n’ai pas peur de la mort ?
— Dites-moi.
— Parce que je sais qu’elle n’est pas la fin. Les autres se moquent de moi mais je m’en fiche. Moi, je crois. Je sais qu’il y a quelque chose après. Je vois les signes, je les entends. Avez-vous cette foi-là, docteur ?
— J’ai beaucoup voyagé et j’ai eu l’occasion d’approcher bien des croyances. En Afrique, au Moyen-Orient, en Inde… Chacun a sa version. Je respecte tout ce qui aide les gens à vivre et à s’élever, mais personnellement…
— Les autres vous ont-ils parlé des chants que j’entends ?
— Quelques allusions…
— Vous croyez que je suis folle ?
— Vous avez toute votre tête, et j’ai moi-même beaucoup trop d’idées étranges pour me permettre de vous juger.