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— Merci Romain. C’est vraiment sympa de faire un crochet pour me déposer.

— Aucun problème.

Pour la première fois, Thomas était installé dans la voiture de son locataire. Une occasion supplémentaire de découvrir l’un des aspects du quotidien d’Emma. Il était assis là où sa fille montait d’habitude. Elle avait dû passer des heures à regarder le jeune homme conduire, exactement sous cet angle-là. Si la petite peluche de canard fluo collée au tableau de bord pouvait répéter tout ce qu’elle avait entendu…

Thomas nota que Romain conduisait plus sagement en sa présence que lorsqu’il circulait en ville avec sa copine. Si l’objet de son voyage n’avait pas été aussi sérieux, le docteur aurait savouré l’ironie de la situation.

— Vous savez qu’Emma parle sans arrêt de vous ? fit le jeune homme en lui jetant un coup d’œil rapide.

— Vraiment ?

— Vous lui avez fait forte impression. Je ne sais pas ce que vous vous êtes dit mais depuis votre rencontre, elle réfléchit beaucoup à son avenir.

— J’espère lui avoir été utile.

— Elle m’a proposé de lire votre entretien, je suis impatient d’y jeter un œil.

— Vous me direz ce que vous en aurez pensé.

Le jeune homme hocha la tête. Le docteur enchaîna :

— Emma sait-elle que vous jouez de la musique ?

La question surprit Romain, qui réfléchit.

— Je réalise que non. J’ai pris des cours de guitare pendant des années quand j’étais petit mais j’ai arrêté après le bac. Je n’ai plus jamais eu l’occasion depuis. Quand j’ai trouvé la guitare dans l’appart, je me suis mis à regratter. J’aime bien, ça me détend et ça fait remonter de bons souvenirs.

— La résidente qui habite en dessous apprécie beaucoup.

— Sans rire ? Le fait que je joue le soir ne la dérange pas ?

— En général, c’est la nuit qu’elle est le plus réceptive aux musiques envoyées du ciel — ou de l’appart du dessus.

Romain profita du climat détendu pour demander :

— Docteur, une chose m’étonne… mais je ne veux surtout pas être indiscret.

— Dites-moi.

— La voiture de l’infirmière vous appartient, c’est bien ça ?

— Tout à fait.

— Mais c’est elle qui la conduit tout le temps…

— C’est une longue histoire. Je la lui laisse parce qu’elle en a besoin pour rentrer chez elle. Moi j’habite au foyer.

Heureux de constater qu’il était possible d’aborder des sujets plus personnels, Romain se risqua davantage.

— J’ai autre chose à vous demander.

— Je vous écoute.

— Verriez-vous un inconvénient à ce que j’invite Emma à l’appart de temps en temps ? Pour des petits dîners entre amoureux…

Instantanément, l’esprit de Thomas réagit comme un grain de maïs bien sec plongé dans de l’huile bouillante. Plop ! En une fraction de seconde, il envisagea les deux réponses possibles : soit il lui interdisait purement et simplement d’accueillir la jeune femme — mais cette réaction donnerait de lui une image trop autoritaire et tout à fait inadaptée. Soit il accordait sa permission, à condition qu’ils ne retirent jamais aucun de leurs vêtements.

Il les imagina en parka, en moufles et en cagoule, en train de déguster leur plat de spaghettis à la lueur des bougies. Essayez donc de réfléchir avec un pop-corn à la place du cerveau.

— Vous êtes chez vous, Romain. Recevez votre petite amie si cela vous chante.

— Merci, monsieur.

Arrivé devant l’entrée de l’hôpital, le docteur attrapa le sac contenant les affaires de Jean-Michel sur la banquette arrière et descendit.

— Merci de m’avoir accompagné. Bon courage pour votre journée. À ce soir.

« À ce soir… » Dans une vie normale, c’est ce que l’on dit à ses proches.

— Dites bonjour à M. Ferreira de ma part !

— Comptez sur moi.

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