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Dans l’eau glacée, Thomas nagea aussi vite qu’il le pouvait. Il n’arriva cependant pas assez rapidement pour sauver le chaton. Le chien s’en était déjà chargé. Le docteur vit Attila saisir le petit dans sa gueule et bifurquer vers la rive. Le chien soufflait, le cou tendu, se démenant pour garder la jeune victime le plus haut possible hors de l’eau. Thomas le suivait à quelques mètres derrière, en l’encourageant de la voix.

— C’est bien, mon grand, continue ! Le bord n’est plus loin, tu y es presque.

Alors que la nuit tombait, dans un vent d’hiver, un homme, un chien et un chaton se retrouvèrent sur la berge. Tous trois étaient trempés jusqu’aux os et aucun ne songeait à se méfier de l’autre. Le chaton éternua le premier. Thomas le prit contre lui et caressa Attila.

— Mon pote, tu es le premier chien que j’ai envie d’embrasser depuis l’âge de dix ans.

Loin en amont, Michael appelait son animal. Même dans ses interprétations lyriques les plus poignantes, il n’avait jamais eu une voix aussi désespérée. Thomas plaça ses mains en porte-voix et hurla :

— Il va bien, il est avec moi !

Le docteur examina le chat.

— Mon bonhomme, cette aventure va te dégoûter de l’eau, toi et tes semblables, pour quelques générations.

Bien que frigorifié et claquant des dents, Thomas retira son sweat et ouvrit son polo pour coller l’animal directement contre sa peau.

— Réchauffe-toi. Tu es en sécurité, je te ramène à ta mère.

Thomas avait déjà prononcé cette phrase, et en plusieurs langues, mais jamais encore il ne l’avait dite à un félin.

Le trio longea la berge pour rentrer. Attila tournait autour du docteur en sautant pour essayer d’apercevoir le petit. De temps en temps, afin de le calmer, Thomas faisait halte et s’agenouillait afin qu’il puisse sentir son rescapé. Le chien se mettait alors à lécher le chaton frissonnant, trop épuisé pour avoir une réaction.

Lorsque Thomas fut à hauteur de l’usine, il entendit des voix qui s’élevaient du verger.

— On arrive, tous les trois ! lança-t-il.

Il gagna le jardin de la résidence en empruntant le passage dans le mur. Tout le monde l’attendait de l’autre côté. La chatte, ses petits, Michael à qui Pauline avait déjà posé une couverture sur le dos, Hélène et tous les autres résidents.

— Quel comité d’accueil !

— Les cris ont alerté tout le monde, expliqua Pauline.

Michael se précipita vers son chien.

— C’est lui le vrai héros, déclara Thomas. S’il n’avait pas réagi, le petit fauve était condamné.

Le docteur déposa le jeune chat devant sa mère, qui, comme si elle savait ce qu’elle devait au chien, laissa celui-ci approcher. Elle miaula et lécha son petit en ronronnant. Elle avait dû s’inquiéter pour lui. S’il n’était pas revenu, sans doute aurait-elle fait son deuil plus facilement qu’un humain. Quoique. À constater l’empressement qu’elle mettait à fêter son retour, la différence entre l’animal et une mère humaine n’était pas si marquée. Quelqu’un pour qui trembler.

Bouleversée, Hélène faisait mille excuses au chien tout en réconfortant « ses » chats. Le docteur prit le temps de reprendre son souffle et se passa la main dans les cheveux.

— Tout le monde est sain et sauf. Par contre, le chat est en hypothermie. Pauline, pouvez-vous m’aider à l’installer près d’un radiateur pour la nuit ? Tant pis si Marie-Laure s’inquiète.

— Qui est Marie-Laure ?

— La mère.

— Le chat s’appelle Marie-Laure ?

— Le chien s’appelle bien Attila.

— C’est vrai, ça, et moi je m’appelle bien Jean-Michel et ça ne choque personne. Pourtant…

— Ce jardin est une vraie ménagerie, commenta Chantal. Regardez-moi comme ils sont mignons ces chatons. Mais le chien est très beau aussi !

Pauline demanda au docteur :

— Vous saviez que Mme Trémélio élevait des chats ?

— Elle ne les élève pas, ils sont nés d’une mère qu’elle a apprivoisée. Ce n’est pas la même chose. Vous ne vous imaginiez pas que j’achetais des croquettes pour les manger ?

— En même temps, ce n’est pas stupide…, commenta Francis.

— De quoi, manger des croquettes ?

— Non, élever des chats. On pourrait les vendre sur les brocantes.

Seule Françoise éclata de rire. Pauline s’approcha du docteur et tâta ses vêtements.

— Vous devriez retirer tout ça avant d’attraper la crève…

— Ça devient chaud, s’excita Francis. L’infirmière veut enlever les vêtements du docteur !

— Ça me rappelle un mauvais livre que j’ai lu récemment, commenta Hélène.

— De vrais gamins, fit Pauline, amusée. Dites-moi, docteur, tant qu’on y est et puisque vous connaissez les petits secrets de tout le monde, c’est le moment de me prévenir si l’un des autres résidents élève des bestioles en douce. Je n’ai pas envie de tomber sur un alligator en passant l’aspirateur.

Chantal leva la main.

— Moi, ce n’est pas vraiment un élevage, mais je parle aux fourmis. Il y en a une qui vient tous les jours et qui adore nager dans mon thé. En ce moment, elle vient moins. Je pense que c’est parce que la saison est plus fraîche, parce que sinon on s’entend bien.

— Si elles ont froid, t’as qu’à leur tricoter un pull ! beugla Francis.

Le chaton était maintenant roulé en boule contre le ventre de sa mère, assise, qui ronronnait les yeux fermés. Le chien se tenait tout proche en remuant la queue.

Chantal grogna :

— Des fois, t’es vraiment stupide, Francis. Les fourmis, ça ne porte pas de chandail.

— Ça ne nage pas non plus ! Chaque jour, tu bois du thé avec une bestiole crevée dedans !

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