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Pauline Choplin entraîna le docteur jusqu’à la salle commune. Les murs étaient bariolés de serpentins multicolores et de petits animaux aux formes rondes sans aucun doute fascinants pour les moins de cinq ans. D’un geste, elle invita Thomas à faire silence avec la mine réjouie d’une gamine qui prépare une bonne blague. Élevant un peu la voix, elle déclara :

— Et maintenant, monsieur le directeur, voulez-vous que j’aille chercher nos pensionnaires ?

Thomas la regarda sans bien comprendre. Elle lui glissa à voix basse :

— Là, vous êtes censé dire « avec plaisir » ou « tout à fait d’accord ».

Il acquiesça, prit une voix grave et lança avec force :

— Tout à fait d’accord !

L’infirmière lui fit signe de tendre l’oreille. Un bruit de porte qui s’ouvre, puis un second. Très vite, une première silhouette apparut en trottinant. Une petite dame voûtée aux cheveux d’un blanc immaculé franchit le seuil de la salle comme si elle passait la ligne d’arrivée d’une course au ralenti. Elle s’avança en dévisageant le nouvel arrivant. Ses yeux étaient clairs et son regard d’une vivacité bien plus grande que celle de son corps. Elle lui tendit la main.

— Bonjour, monsieur, je m’appelle Françoise Quenon. Vous savez, cette nuit, je me suis réveillée à 2 h 22, puis à 4 h 44 et 5 h 55 ; vous êtes arrivé à 9 h 09…

Un deuxième pensionnaire déboula aussi vite qu’un vieux monsieur peut le faire, passa devant la petite dame et serra vigoureusement la main du docteur.

— Francis Lanzac. Mes amis m’appellent « Colonel ». Faites pas attention, docteur, elle est folle. Elle voit des signes surnaturels partout. Avec ses histoires d’heures à la noix, elle va vous annoncer que vous êtes l’antéchrist et que vous venez pour nous prendre nos âmes et nos biscuits au citron.

La petite mamie protesta :

— Tais-toi Francis, j’étais là la première. C’est pas l’antéchrist !

— C’est qui alors, avec tes heures de timbrée ? La réincarnation d’un radio-réveil ?

Un deuxième homme, très digne et s’appuyant sur une canne, arriva avec deux autres femmes. Thomas se retrouva bientôt encerclé par la petite troupe des résidents, qui se comportaient comme des enfants autour du Père Noël de l’école maternelle. Les installer dans une crèche n’était peut-être pas si décalé que cela.

— Il est très jeune, et quelles épaules…, commenta une dame aux cheveux vaguement bleus parfaitement mis en plis.

— Il est beaucoup plus beau que notre précédent directeur, approuva la troisième.

— Faut dire qu’on partait de loin avec l’autre ! ironisa Francis.

Le monsieur à la canne s’approcha et s’inclina cérémonieusement devant le docteur :

— Je vous salue. J’ai un fils de votre âge. Il vient me voir une fois par an avec sa femme, qui n’est jamais la même d’une fois sur l’autre. Ou alors je ne la reconnais pas.

L’infirmière intervint :

— Laissez monsieur le directeur respirer. Si tout le monde est d’accord, je prépare une tisane ou du thé, on s’assoit autour de la table et chacun se présente dans le calme.

— Du thé ? Je vais encore faire pipi toute la nuit ! déclara Chantal, la dame aux cheveux bleus.

— Si on sort les biscuits au citron, Jean-Michel n’y a pas droit aujourd’hui parce qu’il en a pris deux hier ! protesta Hélène, la troisième.

Appuyé sur sa canne tel un aristocrate posant pour son portrait officiel, l’accusé s’inclina vers le docteur :

— Ne pourrait-on considérer que votre arrivée remet tous les compteurs à zéro ? Une sorte d’amnistie. Ainsi, je pourrais en déguster.

— Ils sont si bons que ça, ces biscuits ?

Les cinq résidents eurent un soupir unanime.

— C’est Pauline qui les fait, précisa Francis. Et c’est uniquement à cause d’eux qu’on ne cherche pas à s’enfuir !

— Tant que je ne les ai pas goûtés, je ne sais pas ce que je perds, alors pour aujourd’hui, je vous fais cadeau du mien.

— C’est gentil, mais ce n’est pas une raison pour que Jean-Michel en mange plus ! protesta Chantal.

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