— Madame Quenon, j’aimerais vous poser une question, mais c’est un peu gênant…
— Allons docteur, vous êtes un grand garçon. Et si c’est au sujet de mes analyses, inutile de prendre des gants. Je vous l’ai dit, je ne crains pas de quitter ce monde.
— C’est à propos de ces voix que vous entendez…
— Vous pensez que c’est le signe de la mort qui approche ?
— Franchement, je l’ignore, mais je souhaiterais que vous m’en disiez davantage.
— Que voulez-vous savoir ?
— Pouvez-vous me les décrire ? Ce sont des mots, des chants, une seule voix, plusieurs ?
— Une voix d’homme, profonde et rassurante, mais tellement lointaine. On dirait des chants liturgiques, ou des opéras.
— L’avez-vous entendue récemment ?
— Voilà deux jours, je crois. J’en ai encore le frisson.
— Et la nuit dernière ?
Françoise chercha à se souvenir, puis répondit :
— Non, pas hier. Mais dites-moi docteur, pourquoi ces questions ?
— J’ai entendu cette voix chanter. Hier soir, très tard.
Un éclair traversa le regard de Françoise et ses mains se mirent à trembler. Thomas précisa :
— Une voix surgie de nulle part, puissante, diffuse.
— Alors soit je ne suis pas folle, soit c’est un signe céleste qui nous prévient que nous allons bientôt y passer tous les deux. Évitons de prendre la voiture ensemble.
— Madame Quenon, depuis combien de temps entendez-vous cette voix ?
— Je ne sais plus. Laissez-moi réfléchir… Maintenant que vous me posez la question, je me souviens que pour mon anniversaire voilà deux ans, elle a chanté encore plus divinement que d’habitude.
— Vous n’avez jamais cherché à savoir d’où elle venait ?
— Elle n’est pas de ce monde, docteur. On ne peut pas tout expliquer. Il faut accepter ce que l’on ne comprend pas. Je n’ai pas cherché à lui trouver une cause rationnelle, mais j’ai voulu aller vers elle.
— Et alors ?
— Une nuit, je suis sortie par ma fenêtre pour m’en approcher. Je me suis fait mal avec ces acrobaties, c’est la seule fois où j’ai regretté de ne plus avoir vingt ans ! J’ai erré dans le jardin. J’ai même perdu un chausson. Je n’ai pas eu peur parce que le chant était là. Par un étrange sortilège, il semblait s’éloigner chaque fois que j’avançais dans sa direction. Comme si dans son infinie sagesse, ce prodige se protégeait de ceux qui veulent le trouver. J’aurais voulu courir vers sa beauté.
Thomas saisit doucement les mains de Françoise.
— Merci, madame Quenon. Merci beaucoup. Si vous l’entendez à nouveau, prévenez-moi.
— Vous aussi, docteur, promettez-le-moi.