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Vers 2 heures du matin, ils arrivèrent. Comme s’ils avaient senti la détresse d’un proche. Les chats ne laissèrent pas le choix à Thomas. Dressés sur leurs pattes arrière, ils miaulèrent à la porte-fenêtre jusqu’à ce qu’il leur ouvre.

Dans le salon, seules les lampes d’appoint étaient encore allumées, créant une ambiance tamisée. Tout le monde s’était endormi, dans les fauteuils ou sur le canapé. Même Pauline avait fini par succomber à la fatigue, le front calé sur son coude. Jean-Michel et Françoise ronflaient. Romain était monté, de crainte d’être trop fatigué le lendemain au travail. Michael s’était assoupi la tête contre celle de son chien, qui respirait régulièrement.

À peine à l’intérieur, les chats trottinèrent en file indienne vers le blessé. La mère sauta sur la table, suivie de l’agent Z 33 et de deux autres de ses enfants. Le reste de la famille tournait au pied, la queue bien droite. Seule la maman s’approcha du chien, lui renifla le museau puis le flaira jusqu’à découvrir sa blessure. Elle lécha la plaie avec application puis remonta près de la tête de l’animal. Elle se coucha en sphinx et se mit à ronronner comme pour le bercer.

Étrange spectacle que cette solidarité qui dépassait les clivages naturels. La chatte avait avec ce représentant d’une espèce soi-disant ennemie le même comportement bienveillant qu’avec ses propres petits. Elle lui offrait sa présence et son instinct pour qu’il se sente mieux. L’expérience de la douleur est sans doute l’un des points communs les plus universels qui soient. L’envie de voir ceux que l’on aime survivre aussi. Beaucoup prétendent que les animaux ne soupçonnent pas qu’ils mourront un jour. En regardant ce chat apporter son soutien à ce chien, on pouvait au moins supposer que les bêtes sont en tout cas bien plus conscientes de la valeur de la vie que beaucoup d’entre nous.

— Ils sont mignons, murmura Francis, qui venait d’ouvrir un œil et contemplait l’émouvant tableau. Les hommes n’en font pas toujours autant pour leurs semblables… Voulez-vous que je veille sur Attila pendant que vous vous reposez ?

— J’apprécie, monsieur Lanzac. À défaut de dormir, si vous me laissez dix minutes pour aller prendre une douche, ce ne serait pas de refus. Tout ce sang séché…

— Allez-y, docteur, je prends le prochain tour de garde.

— Merci.

Thomas quitta le salon et monta l’escalier sur la pointe des pieds. La fatigue commençait à se faire sentir. Lorsqu’il arriva devant sa porte, il fut surpris de trouver Romain qui l’attendait, assis par terre mais étonnamment réveillé.

— Que faites-vous là ? Je vous croyais en train de dormir…

— Je pense que nous devrions parler, docteur.

— Sans problème, mais je vous propose de le faire demain. La soirée a été assez longue.

— Je ne veux pas attendre demain.

Son ton d’une sécheresse inhabituelle fit tiquer Thomas.

— Un problème avec Emma ?

— Non. Avec vous.

Romain poussa la porte de l’appartement de Thomas et lui désigna la pièce où se trouvaient toutes les affaires de sa fille. Le docteur pâlit.

— Vous aviez parlé du placard de droite mais dans mon empressement, j’ai confondu avec la porte. Désolé. J’ai été surpris de découvrir cette collection. Elle m’a très vite semblé familière. Lorsque j’ai reconnu ma propre écriture sur les cartons que j’avais remplis avec Emma, tout est devenu clair…

Romain prit une inspiration et lâcha :

— Que vous soyez un malade ou un pervers fétichiste, je n’en sais rien, mais ce qui est certain, c’est que comme menteur vous battez tous les records. Vous vous êtes bien foutu de ma gueule, docteur. Je ne sais pas ce que vous nous voulez, à ma copine et à moi, mais je vous jure que vous allez me le dire.

La première phrase qui vint à l’esprit de Thomas fut la devise de l’Inde : « Seule la vérité triomphe. »

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