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Selon les normes pratiquées à Ambar, l’appartement de fonction était assez vaste pour loger Kishan, sa femme, ses trois enfants, ses parents, ses beaux-parents et même quelques oncles. Thomas jeta un rapide coup d’œil à son nouveau logement et abandonna son sac dans l’entrée.

— Les résidents ne montent jamais à cet étage. Vous y serez chez vous. Il y a même un accès direct vers l’extérieur si vous le souhaitez, par l’escalier au bout du couloir.

— Et là, qu’est-ce que c’est ?

— Un autre logement, plus petit. Il sert de réserve. On y entrepose des meubles. Certains datent de la crèche.

— La résidence semble confortable.

— Vous trouvez ? Tant mieux. Votre prédécesseur la jugeait exiguë et vieillotte… Ce foyer pour personnes âgées était à l’origine une expérience pilote gérée par la caisse d’assurance maladie et la municipalité. À la fermeture de l’usine, la ville a racheté les murs pour transformer la crèche. L’idée était bonne : peu de résidents dans un cadre plus familial. Mais la caisse s’est peu à peu désengagée et ils ont fini par demander aux pensionnaires de mettre la main à la poche.

Thomas s’approcha d’une des fenêtres qui donnait vers l’arrière du bâtiment et s’étonna en apercevant le vaste espace.

— C’est un jardin ?

— Un ancien verger qui s’étend jusqu’à la rivière qui passe au pied du grand saule, là-bas. La Renonce, pleine de truites à ce qu’il paraît. Je vous emmènerai voir, si vous voulez.

— Pourquoi pas ? Depuis combien de temps travaillez-vous ici ?

— Depuis l’ouverture, un peu plus de trois ans. Avant j’étais en hôpital, mais les rythmes et l’ambiance devenaient trop tendus. Et puis je voulais pouvoir m’occuper de mon petit garçon. Au moment où son père nous a quittés, j’ai changé pour prendre ce poste.

Deux mois plus tôt, Thomas aurait écouté l’histoire du père laissant sa femme et son enfant comme un banal fait de société. Il ressentait la situation différemment aujourd’hui.

— Quel âge a votre fils ?

— Bientôt huit ans.

Par habitude, Thomas faillit demander s’il était en bonne santé, mais il s’abstint. Il enchaîna :

— Les résidents savent-ils qu’un nouveau directeur est nommé ?

— Vous plaisantez ? Évidemment qu’ils le savent ! À la seconde où vous êtes entré, je suis certaine qu’ils vous ont épié. Vous verrez qu’ils ont parfois un côté très enfantin, que j’aime bien d’ailleurs.

— Ils m’ont épié ? Sérieusement ?

— Bien sûr. Pour être franche, ils n’ont jamais apprécié votre prédécesseur. L’hiver dernier, M. Lanzac a eu la grippe et il ne se levait que pour essayer de lui refiler sa crève. Il a fini par réussir !

— Charmant. Et vous, que pensiez-vous de l’ancien directeur ?

— Je peux être honnête ?

— C’est une bonne base si nous devons travailler ensemble.

Quelque chose d’imperceptible se modifia dans l’attitude de la jeune femme.

— Il n’était pas trop…

Elle hésita puis, s’apercevant que Thomas attendait sa réponse, lâcha :

— C’était un petit bureaucrate carriériste qui n’avait rien à faire dans le social. Ce type n’a jamais travaillé que pour lui.

Ayant rendu son verdict, Pauline reprit aussitôt son air avenant.

— Descendons, je vais vous présenter les résidents.

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